CHAPITRE V
¥ Addenda ? (mercredi 28 juin 2000—> la
chappe de plomb actuelleÉ l'alternance de drame et de silence É/É)
¥ VƒRIFIER SI DOUBLON ??? "Pourtant nous
acceptons biend'Žcouter des orateurs, lorsqu'il s'agit par exemple de comprendre
les Žtoiles ! Les chercheurs bien connus et apprŽciŽs de ce domaine ne
pourraient-ils pas servir de modle pŽdagogique ?
LE SPECTACLE DE L'incertitude
"La
dŽmarche pŽdagogique est indissociable de la mŽthode scientifique"
CHAPITRE V. — LE SPECTACLE DE L'incertitude.
LE BESOIN D'INFORMATION DU CHïMEUR. —
L'INFORMATION EN MIETTES. — Les effets
dŽsagrŽgeants des spectacles. — Leitmotiv
obsessionnel Žconomique. — Point de vue unidirectionnel. — ƒchos de
pensŽes fausses. — Effet clivant d'un discours de sourds. —
L'exemple amplificateur du sens de l'Žchec. — Les montagnes russes.
— Le Spectacle de la dŽchŽance. — Pourquoi ?É . — LA QUæTE
DƒSABUSƒE D'ESPOIR.
T |
out
est tranquilleÉ On entendrait une mouche voler ! ". Certains se rappelleront ce vieil air des annŽes
cinquante qui rŽsonne curieusement, de manire un peu nostalgique, en Žcho ˆ
cette tranquillitŽ apparente du monde d'aujourd'hui. L'activitŽ de millions de
personnes qui nous parvient par le truchement des mŽdia donne, un court
instant, l'apparence que tout va bien, que l'Žconomie repart, que les
demandeurs d'emploi vont au turbin
faire ce qu'il faut pour retrouver du travail. Les percŽes de l'exportation et
de la technologie des nouveaux moyens de communication rassurent. Mme si la
solidaritŽ internationale se prŽoccupe activement de nos trs proches voisins
dans le malheur et leur tend une main secourable, les guerres et les conflits
sont repoussŽs en pensŽe ˆ des annŽes-lumire de nos frontires mentales.
Les ch™meurs
pourtant n'ont pas l'‰me lŽgre ; les salariŽs non plus ! Le silence ambiant de
ces dernires annŽes, concernant le drame du ch™mage, ne s'accompagne pas, au
passage du millŽnaire, de cette innocente insouciance des annŽes de plein
emploi d'autrefois, que l'Žvocation de la chanson nous rappelait. La blessure
du ch™mage demeure trop profonde.
Chacun
a une Žcoute dite sŽlective.
C'est-ˆ-dire que nous entendons mieux ce qui nous concerne. Parfois nous
n'entendons mme pas ce qui nous est Žtranger ! Pour rester dans notre thme,
attachons-nous ˆ Žcouter le monde mŽdiatique comme un ch™meur, mme si nous ne
le sommes pas ou plus. Tous mŽdia confondus. Ce n'est pas tel ou tel propos
survenu ˆ telle ou telle Žpoque qui est important en soi, mais la rŽsultante
de tous ces fragments d'information et de parole concernant directement ou
indirectement le ch™mage. Cette rŽsultante est-elle cohŽrente et harmonieuse,
ou n'est-elle qu'un bruit de fond,
comme un chaos ? Ou bien cohŽrente, mais inharmonieuse ? Seuls les ch™meurs
peuvent rŽpondre pour eux-mmes en fonction de leur situation prŽcise.
Essayons nŽanmoins de comprendre la tendance gŽnŽrale,
limitŽe encore une fois strictement ˆ notre sujet. Nous nous demandions au
chapitre III prŽcŽdent si les mŽdia ont un regard, en propre, ou ne sont que
l'Žcran impartial d'un peuple. Ce rapide aperu permettra peut-tre au lecteur
de trouver une rŽponse.
LE BESOIN D'INFORMATION DU CHïMEUR.
E |
n nous rŽfŽrant
aux cinq grands groupes de besoins ŽvoquŽs au chapitre prŽcŽdent, nous nous
apercevons que le besoin d'informations s'adresse ˆ la moins pressante des
motivations, relativement, du ch™meur : le besoin de conna”tre. Le ch™meur de
fra”che date se sent certainement plus concernŽ par des sujets trs pratiques.
Les petites annonces d'offres d'emplois sont en effet le quotidien de
l'information essentielle, en gŽnŽral ; ˆ c™tŽ de la consommation mŽdiatique
gŽnŽrale ˆ laquelle il est habituŽ. Ë mesure que le ch™mage s'allonge, que le
budget devient plus restreint, des choix s'opŽreront, sans doute au dŽtriment
des supports-papier devenus trop onŽreux.
Paralllement, le ch™meur dispose de plus de temps. La
radio et la tŽlŽvision, (et peut-tre plus rŽcemment Internet pour certains),
prennent une part nouvelle dans la manire dont ils entr'apercoivent le monde
extŽrieur. Nous avons citŽ dans les pages qui prŽcŽdent certaines anecdotes
provenant de cet ce univers paysage virtuel,
indissoluble
indissociable du vŽcu du ch™meur. Cette constatation Žvidente ne correspond pas cependant au
vŽcu des salariŽs moins disponibles, aussi est-il utile de souligner cette augmentation
du degrŽ de l'effet visuel et acoustique de l'information. Parce qu'une
certaine fraction de la population de ch™meurs, celle qui se replie sur
elle-mme dans un instinct de survie, ne va plus percevoir le monde environnant
que par une fentre mŽdiatique en dŽfinitive Žtroite. Parce que les stimuli
sonores et visuels sont des Žnergies, et par lˆ mme ils ne sont pas neutres !
Ces bruits s'ajoutent aux contenus
intellectuels et affectifs que nous envisagerons plus loin.
Les ethnologues ont montrŽ par exemple que les rythmes
binaires[1]
sont utilisŽs pour augmenter l'agressivitŽ guerrire. Les scientifiques ont
prouvŽ l'effet inverse, thŽrapeutique et calmant, d'une musique classique douce
sur un mode ternaire[2]. Les
physiciens savent que les sons peuvent entra”ner des pathologies graves. Bien
sžr, le ch™meur n'absorbe pas plus que le nombre de dŽcibels autorisŽs ! Mais
sa disponibilitŽ particulire le conduit ˆ recevoir une surabondance
d'informations brutes qui s'accumulent
dans sa mŽmoire. Et sa prŽcarisation
progressive cause une sorte d'hypersensibilitŽ. Ce qui fait dire ˆ certains,
par exemple :
"Je n'Žcoute plus
les infos ni les dŽbats depuis des mois. ‚a me fait mal au plexus. Je ne
supporte plus leur agressivitŽ. Je suis saturŽ par l'inutilitŽ de toute cette
agitation stŽrile, de tous ces drames qui sont ressassŽs en permanence. On voit
les participants s'invectiver, se contredire, se couper la parole. Ils ne
s'Žcoutent pas. Vite, vite il faut qu'ils zappent en permanence sur une autre
idŽe. Les animateurs se cachent en permanence derrire le sacro-saint temps
d'antenne qu'ils nous jettent ˆ la figure pour nous empcher de penser. Ils
cherchent toujours de nouvelles idŽes ˆ la mode pour faire joujou. Ils ne nous
expliquent rien dans le fond. Maintenant c'est la mode des "fonds de
pension". Et on nous parle encore d'augmenter les prŽlvements pour
assurer les retraites de l'an 2020. Bonjour, l'avenir ! S'ils croient que j'ai
envie de retravailler ! Y'en a marre ! Quand il s'agit du ch™mage, j'ai le sentiment que je
n'existe pas ; qu'ils parlent des martiens. Ë quoi a sert d'entendre tout a ?
S'ils croient que je vais les Žcouter patiemment. Je ferme le poste aussi vite
que possible. C'est ma manire d'Žmettre un vote de protestation."
Les attentes en matire d'information sont, bien
entendu, variŽes, et fonction du niveau socioculturel et des passions de
chacun. Mais en ce qui concerne le sujet du ch™mage, l'Žcoute est
nŽcessairement plus attentive. L'angoisse concernant l'avenir rend aussi plus
aiguisŽe la perception concernant les annonces de raisons d'espŽrer. Le besoin
de cerner l'avenir, de conna”tre et de comprendre le ch™mage devient pour le ch™meur
de longue durŽe, ˆ la fois un sujet de
prŽoccupation plus clair et plus dŽsespŽrant. Car il n'entend rien, sinon une
longue plainte et un chapelet de malheurs. Ë ce besoin de savoir, ne rŽpond
comme toute sensation, que la peur de l'inconnu. Cette peur s'ajoute alors aux
autres.
"L'INFORMATION" EN MIETTES.
Les effets dŽsagrŽgeants des spectacles.
S |
i nous
rŽflŽchissons calmement ˆ ce qui Žmerge dans notre mŽmoire, ˆ propos du
ch™mage, de tout ce quart de sicle, ou simplement des dernires annŽes pour
les plus jeunes, pouvons-nous dire que nous avons une vision claire des causes
du ch™mage et des solutions apportŽes ? Si tel Žtait le cas, le ch™mage
perdurerait-il encore ? Pouvons-nous nous souvenir de certaines informations,
certaines Žmissions, comme de moments de grand espoir, dont l'effet est encore
prŽsent et tonique ? Elles sont bien rares ! Quelques anecdotes
dŽdramatisantes et encourageantes ont ŽtŽ citŽes prŽcŽdemment, mais elles
dŽpassent le contexte habituel du ch™mage.
Pouvons-nous
nous rappeler des informations ayant trait ˆ une action quelconque qui a rŽsolu
quelque grand problme liŽ au ch™mage ?É
Cette qute du savoir ne s'est-elle pas plut™t heurtŽe ˆ un
effet dŽsagrŽgeant de tout ce qui nous
est dit et montrŽ ˆ propos de ce phŽnomne extraordinaire ?
Pourquoi
parler d'un tel effet de dŽlitement ˆ propos de l'information ? Est-ce
l'information en elle-mme ou les mŽdia qui sont en cause ? Bien Žvidemment
non.
L'information en miettes, communiquŽe sans considŽration synthŽtique d'ensemble
suffisante, n'a-t-elle pas cependant cet effet de dŽsagrŽgation d'une pensŽe ?
PensŽe qui ne s'y retrouve plus, ˆ force de se perdre dans les mŽandres des
contradictions et des dŽtails stŽriles.
Les
rares bouffŽes d'oxygne ne sont-elles pas vite ŽtouffŽes par la pollution d'un
spectacle Žmotionnel qui joue trop du "pathos", du pathŽtique, comme
d'effets de manche ˆ propos d'une cause que tout le monde croit perdue, encore
pour des dŽcennies du moins ?
L'effet dŽsagrŽgeant appara”t
ˆ l'analyse approfondie surtout dž ˆ l'impact que les informations et les
discours ont sur les peurs ; et ˆ l'absence d'effet compensatoire sur les
motivations. Nous l'avons ŽtudiŽ en dŽtail lors des chapitres prŽcŽdents en ce
qui concerne la peur du manque vital et de la dŽvalorisation. Les mŽdia les
amplifient par absence de rŽponse ou par exacerbation du sentiment de rŽvolte
contre les injustices, en particulier. N'offrant pas de dŽbat suffisamment pŽdagogique
pour comprendre le ch™mage et l'avenir qui nous attend, la troisime peur de
l'inconnu s'en trouve aggravŽe.
La pŽdagogie suppose un accompagnement jusqu'ˆ la
synthse qui permet de sortir du conflit, du
clivage, de la douleur. Or cet accompagnement
s'arrte trop souvent ˆ la porte du nŽant ! En espŽrant on ne sait quelle
prescience du spectateur moyen pour qu'il tire lui-mme la sage
conclusion.
Puis, pŽriodiquement, ne sachant rŽpondre, il semble que la
voix mŽdiatique se taise momentanŽment sur ce sujet grave du ch™mage comme nous
le faisions remarquer au dŽbut.
Essayons de prŽciser un peu plus comment ces mŽdia peuvent
agir sur le ch™meur, au travers de quelques exemples ?
Leitmotiv obsessionnel Žconomique.
Depuis
quelques dŽcennies, tout le discours mŽdiatisŽ a tendance ˆ tre enrobŽ
d'une couche d'Žconomie, comme une dragŽe
! Nous sommes depuis un quart de sicle tombŽs dans une sorte de monomanie
Žconomique de la pensŽe. Les intellectuels
ont mme crŽŽ des nŽologismes : Žconocrate, Žconocratie, Žconomisme[3]É Mais la dernire dŽcennie est devenue ahurissante ˆ cet
Žgard pour le ch™meur qui a le malheur d'allumer son poste de radio ! Les
historiens ˆ venir nous montreront sans doute ˆ quel point nous aurons ŽtŽ endoctrinŽs
par ces miettes d'information, pareilles
aux saccades d'un tam-tam. Il serait aussi peut-tre judicieux de nous
retourner plus attentivement sur l'histoire, pour nous rendre compte que ce
genre de mŽthode concernant bien d'autres idŽes fixes, totalitaires, a dŽjˆ ŽtŽ
utilisŽ contre les peuples pour les endoctriner. Cela nous permettrait alors de
prendre plus de distance et nous confŽrerait plus d'objectivitŽ par rapport ˆ
tout discours trop monolithique.
Une manifestation sportive, musicale, thމtrale,
artistique, est annoncŽe. Et immŽdiatement le responsable vient Žtaler ses
Žtats d'‰me sur le manque de moyens financiers, ou au contraire sur les bons rŽsultats de son chiffre
d'affaires gr‰ce au taux de
remplissage de la salle ! etcÉ Sans se rendre compte qu'il nous g‰che
notre plaisir en nous recentrant sur ses
problmes financiers qui ne nous
concernent pas. Au lieu de contribuer ˆ un moment de dŽtente et de rve, par
une promotion intelligente nous offrant un avant-gožt de son spectacleÉ sans
arrire-gožt ! Les commentateurs de ces manifestations en rajoutent et font
systŽmatiquement un dŽballage "quasi-obscne", dit un ch™meur, des
coulisses du business. Nous pourrions
passer en revue tous les secteurs, mais la dŽmonstration est inutile. ‚a plait,
dit-onÉ Croit-on ? Mais le ch™meur, dans tout cela ne
voit dans
tout cela, ˆ tort ou ˆ raison, que le g‰chis de l'argent, dont il
aurait tellement besoin pour vivre simplement de manire plus autonome. Toutes
les catŽgories socioprofessionnelles ont appris ˆ parler d'Žconomie, pour se
plaindre surtout, il faut le reconna”tre.
"Mais parce qu'on ne peut rien faire sans moyens financiers !" se dŽfendent automatiquement les interpellŽs. Se
demandent-ils une seconde si leurs a”nŽs parlaient d'Žconomie ˆ tout bout de
champs ? Cela n'Žtait-il pas aussi bien, sinon mieux ?
Si le discours Žconomique est si rŽpandu, il y a sans doute
une raison. Elle nous dŽpasse en ce moment. Elle est d'un ordre qui tient plus
de l'Histoire des Civilisations. Comme tous les grands courants de pensŽes que
les historiens Žtudient et dissquent pour y dŽcouvrir la trace de l'Žvolution
de la PensŽe humaine. Les remarques prŽcŽdentes ne tendent donc pas ˆ critiquer
cette pensŽe Žconomique en elle-mme et ˆ nier son utilitŽ. Nous cherchons ˆ voir
en revanche comment, lorsqu'elle est indomptŽe, lorsqu'elle prolifre de
manire anarchique dans nos pensŽes et nos paroles, elle peut tre nocive. Et
plus nocive pour certaines populations fragilisŽes. La sociŽtŽ s'alerte de plus
en plus de la pollution atmosphŽrique par les fumŽes d'usines et les gaz
d'Žchappement. N'y aurait-il pas quelques similitudes ˆ mŽditer avec cet
"Žconomisme" chronique, provoquŽ par un abus de parlottes Žconomiques
?É
Les mŽlomanes savent que les musiques comportant un leitmotiv
obsessionnel peuvent, par une rŽpŽtition trop frŽquente, devenir vŽritablement
hypnotiques ou au contraire un dŽtonateur des pulsions agressives[4].
La SociŽtŽ du XXIe sicle, telle que nous pouvons l'espŽrer, pourra-t-elle
faire bon mŽnage avec ces rŽpŽtitions excessives d'arguments Žconomiques mis ˆ
toutes les sauces, pour le moins pesantes et dŽmoralisantes ? O bien, son
effet rŽvŽlateur des Žgo•smes, - mais dŽstructurant des personnalitŽs- une fois terminŽ, ce discours Žconomique
ne prendra-t-il pas une place plus relative et discrte ? Au profit de la
culture, sous tous ses aspects, par exemple. On nous dit que nous avons ce
choix culturel aujourd'hui. Mais est-ce bien exact ?É
Les ch™meurs qui bouchent leurs oreilles ˆ ce sempiternel
refrain Žconomique et ferment leurs yeux au spectacle en miettes font sans
doute un dŽbut de travail de rŽsistance utile, c'est-ˆ-dire de consommateur
plus exigeant.
Point
de vue unidirectionnel.
La
rŽpŽtition d'un point de vue a pour effet de ne plus permettre qu'une vision
unidirectionnelle, une "pensŽe unique" fataliste, pour prendre la
terminologie actuelle. Il ne reste plus de temps pour d'autres pensŽes. Tout
est regardŽ au travers des jumelles de l'Žconomie. C'est-ˆ-dire soit ˆ travers
des thŽories, soit ˆ travers des drames dŽmoralisants, puisque l'Žconomie est
dŽrŽglŽe actuellement. Cette unidirectionnalitŽ nous fait oublier l'individu
humain qui est en face de nous. Nous ne voyons qu'un acteur Žconomique
artificiel. C'est-ˆ-dire que nous ne le considŽrons qu'en fonction de ce qu'il
peut nous "rapporter", ou menace de nous faire "perdre". Le
propos est-il excessif ?É
Parfois, une voix dans le dŽsert tente de nous dire que
l'Žconomie n'est pas tout, qu'il y a la Culture, la Science, la Religion, le
Divin, l'ArtÉ Mais personne n'y rŽpond. La masse est avide de tragŽdies pour
rŽveiller un instant son attention ŽmoussŽe et lasse. Il est vrai qu'elle
n'a pas suffisamment de choix plus enthousiasmant et porteur d'espŽrance en ce
moment. Lorsqu'un sujet d'espŽrance s'annonce, le discours Žconomique lˆ
encore le rŽcupre, le dŽvore, le digre, pour qu'il n'en reste plus rien de
bon ! Par exemple, la dŽnonciation de la "mal bouffe" devient un
"crŽneau marketing" o se profile une "bonne bouffe
labellisŽe" ; plus encore qu'une cause politique ! Les exemples ne
manquent pas.
Mais le ch™meur cherche une autre direction vers laquelle
tourner son regardÉ Et cette direction est bien ardue ˆ trouver. C'est pourquoi
il s'isole. Il se protŽgeÉ en attendant des jours meilleurs, comme nous l'avons
vu attentivement dans un chapitre prŽcŽdent.
ƒchos
de pensŽes fausses.
"Le
ch™mage a diminuŽ ces deux derniers mois, de 80 000 demandeurs d'emploi en
moins. La tendance ˆ la dŽcrue se confirme."
Voici un
genre d'information qui a pu faire sursauter le ch™meur pendant l'ŽtŽ 99. Nous
avons commentŽ prŽcŽdemment la notion trompeuse de "dŽcrue" qui
alimente un faux sentiment d'espoir. La rationalisation de l'information par la
tendance statistique peut tre tout
aussi mensongre. D'abord, parler de "tendance confirmŽe" inverse ˆ
propos d'un phŽnomne qui dure depuis un quart de sicle, en se basant sur
quelques mois consŽcutifs, manque singulirement de sens de la mesure !
Quel directeur commercial se risquerait ˆ Žlaborer ses prŽvisions sur un
historique de vente aussi court ? Ensuite, on nous dit paralllement que
la moitiŽ de ce chiffre est constituŽe d'emplois publics ou d'emplois
prŽcaires. Ce qui rŽduit de moitiŽ ces chiffres "optimisŽs" ; et qui
implique que la tendance ne peut se poursuivre qu'en s'appuyant sur l'argent
public pour crŽer encore plus d'autres fonctionnaires les annŽes ˆ venir venir ;
et non sur une dynamique Žconomique du secteur privŽ ! Puis ce point est
escamotŽ rapidement par les mŽdia.
Le fait de donner l'information contradictoire, en la
juxtaposant laconiquement, ne neutralise pas rŽellement le "caractre
mensonger" - le mot n'est pas trop
fort - de l'information de base. C'est un peu comme ces lignes en tout petits
caractres au bas d'un contrat, qui abusent des personnes crŽdules et sans
dŽfense. En effet, comme nous l'avons remarquŽ, chacun a une Žcoute sŽlective :
des ch™meurs peuvent vouloir croire ˆ
cette "dŽcrue", malgrŽ l'inexactitude mathŽmatique ; le commentateur,
en rŽpŽtant la seule partie optimiste de l'ŽvŽnement peut vouloir
"encourager les p'tits gars", et croire participer ˆ l'effort collectif contre le ch™mage ; la
personne partisane vouloir se "raccrocher aux branches", pour faire
croire qu'elle a raison, etcÉ
Les syndicats et les scientifiques en particulier ne s'y
sont cependant pas laissŽ prendre, en affichant une prudente rŽserve pour le
moins. Tandis que l'information tronquŽe, "dŽsinformante", continuait
ˆ tre dŽversŽe les jours suivants dans l'oreille du ch™meur. Tout cela, chacun
a pu le constater. S'en souvient-on encore quelques mois aprs ? Dans un an,
tout sera oubliŽ ! Mais en attendant, cette rŽpercussion brute de l'information, associŽe ˆ un martelage brutal, heure aprs heure, jours aprs jours, mois aprs mois,
annŽe aprs annŽeÉet dŽcennie aprs dŽcennies !É produit son effet nocif, en ne
rassurant pas vŽritablement le ch™meurÉ Jusqu'au prochain bŽmol d'une
rŽaugmentation du ch™mage.[5] Qu'en
sera-t-il en 2001É 2002É? Il ressent toujours l'immense flou dans lequel nous
baignons[6].
De plus, cette manire de manipuler l'information, si
elle permet ˆ chacun d'apprendre au long terme ˆ exercer son jugement,
n'en laisse-t-elle pas cependant
des traces nŽgatives qui
prendront un temps infini pour s'effacer[7] ? Traces
qui demeurent, quelque part, dans
l'inconscient collectif. Lorsqu'il s'agit d'un sujet aussi douloureusement
humain que le ch™mage, ne vaudrait-il pas mieux avoir un dŽbat plus objectif ?
Ne serait-il pas prŽfŽrable de se libŽrer des manipulations qui ne s'appuient
pas sur une recherche sincre de la vŽritŽ ? N'est-ce pas de cette manire
transparente qu'on peut redonner confiance et stimuler le courage ?
Nous le comprenons bien, il y a un paradoxe entre le dŽsir
de bien faire des Žlus et des responsables, pour apporter des solutions au
ch™mage, pour montrer qu'ils agissent ; et l'inefficacitŽ des actions qui ne
peuvent qu'Žchouer sur un terrain non stabilisŽ au prŽalable. Le dŽbat
mŽdiatique, pour le moment, ne semble pas avoir trouvŽ d'autre mŽthode que
celle de caisse de rŽsonance des dŽsŽquilibres permanents. Sans mme faire un
procs d'intention comme certains, de complicitŽ avec quelques monopoles
totalitaires ou subversifs.
Cet exemple de l'ŽtŽ 99 a ŽtŽ vite oubliŽ lors de l'annonce
par les pouvoirs publics d'une perspective de "plein emploi", d'ici
quelques annŽes. Mais nous devons le garder en mŽmoire, pour ne pas nous faire
abuser dans l'avenir, lorsque de telles manipulations se reprŽsenteront,
inŽvitablement. Nous reparlerons en particulier de cet illusoire "plein
emploi" dans un autre chapitre.
"Lorsque
nous reprochons ˆ l'autre ses dŽfauts,
ce sont les
n™tres que nous voyons en lui."
Proverbe de la
Sagesse.
Effet clivant d'un discours de sourds.
L'Žconomie
en guerre appelle le discours polŽmique (du grec polemikos, "relatif ˆ la guerre"). La sociŽtŽ fracturŽe Žgalement. Et elle semble s'y
complaire. Mais quelle place le ch™meur peut-il trouver dans tous ces dŽbats o
il est soit absent, soit un enjeu ballottŽ entre deux p™les ; et quasiment
jamais un acteur crŽdible et ŽcoutŽ ? Le discours polŽmique est aux antipodes
de la dŽmarche scientifique car il ne fait que jeter un peu plus de brumes
autour des idŽes. Le ch™meur ne peut rien en attendre pour comprendre sa
situation. Si nous sommes objectifs, nous observons que rien de bon n'en est
sorti non plus au niveau politique pour amŽliorer sa condition de vie ces
dernires dŽcennies. Le prŽtexte de dŽnoncer les injustices par un discours
"musclŽ" est bien fallacieux.
Cette manire de discutailler, en clivant la pensŽe en deux camps inconciliables,
n'est-elle pas en particulier une sorte de reflet de ce discours de sourds que la sociŽtŽ entretient ˆ propos du ch™mage et du
travail ? Autrement dit la fracture sociale n'est-elle pas ˆ la source une fracture de la pensŽe de chaque citoyen ? Comment pourra-t-il vivre avec trs
longtemps, sans s'autodŽtruire ? Et s'il ne rŽduit pas son propre dilemme, il
ne rŽduit pas la fracture sociale. Le cercle vicieux se referme ainsi sure
le citoyen !É
En fait, il y a eu peu, ou pas, d'Žmissions vŽritablement
polŽmiques ˆ propos du ch™mage ces dernires annŽes. Le propos aurait ŽtŽ trop
scandaleux. Les interdits moraux ont fait leur office. Mais ˆ force d'employer
cette manire de critiquer, en s'opposant entirement, sans se laisser une
marge pour accueillir la pensŽe de l'autre, de mauvaises habitudes subsistent.
Et nous la retrouvons en privŽ, comme les anecdotes du chapitre III sur le
sentiment de culpabilitŽ nous l'ont fait voir. Si nous voulons penser
sereinement ˆ propos du ch™mage, il n'est pas inutile d'identifier au prŽalable
notre propre gožt culturel pour ce type
de dŽbat conflictuel, plus ou moins violent !É et de savoir prendre nos
distances, momentanŽment du moins.
Lorsque
nous nous insurgeons contre la violence extŽrieure, par exemple : violence ˆ
l'Žcole, violence des banlieues, violences racistes, violence des guerresÉ
n'est-ce pas d'abord notre propre violence mentale qui nous gne ?É
L'exemple
amplificateur du sens de l'Žchec.
Comme le faisait remarquer un ch™meur ˆ l'Žcoute d'une
Žmission, o d'autres ch™meurs Žtaient citŽs en exemple pour avoir trouvŽ le
moyen de s'en sortir :
"Ce n'est pas en me montrant que les autres
sont dans la misre, que a me soulage et que a rŽsout mon problme. Mais ce
n'est pas non plus parce que mon voisin a retrouvŽ du travail que je m'en porte
mieux. Moi, je reste sur le carreau. ‚a m'angoisse encore plusÉ"
Comme
quoi l'exemple motivant est difficile ˆ manier.
Un autre ch™meur pointait, ˆ propos du film qui a reu le
Palme d'or ˆ Cannes en 1999 :
" J'entendais la
jeune actrice lors d'une interview nous dire que cette histoire de recherche de
travail Žtait finalement une grande leon de courage. De son point de vue, je
peux le comprendre. D'autant plus qu'il semble que c'Žtait un peu son parcours
personnel pour dŽcrocher le r™le. Mais dans l'Žmission, personne n'avait pensŽ
ˆ demander ˆ des ch™meurs depuis longtemps sur le pavŽ, ce qu'ils ressentaient
ˆ la vue de ce film. Pour ma part, son exemple de courage, comme elle disait,
n'a rŽussi qu'ˆ me dŽsespŽrer un peu plus. S'il faut se battre comme elle, avec
cet acharnement Žpouvantable pour un malheureux job, c'est ˆ dŽsespŽrer de la
sociŽtŽ. Ce n'est qu'une jungle o les patrons et les politiciens nous
racontent que des blagues. Et puis moi, je n'avais pas du tout envie de
retrouver des conditions de travail aussi pourries que a. J'ai donnŽ ; je ne
veux pas de ce monde-lˆ. "
Ce
spectacle, qui mŽrite sans doute sa rŽcompense sur le plan artistique, est vu
avec d'autres yeux par les "acteurs" rŽels qui en sont le centre.
Nous pourrions sans doute trouver des ch™meurs qui dŽfendraient le point de vue
opposŽ ; comme cela se fait pratique systŽmatiquement
de nos jours. Mais ce mode d'affirmation de soi, par la contre-critique,
n'est-il pas une ultime rŽaction du dŽsespoir ? Nous avons dŽjˆ parlŽ du risque
de cette mŽthode, qui n'apporte pas l'objectivitŽ, en renvoyant dos-ˆ-dos deux
points de vue, sans en dŽgager une ligne directrice.
De ce recentrage Žmotionnel et spectaculaire sur le succs des autres - dont on est exclu - ne ressort-il pas un
angoissant sens de l'Žchec ?
Pourtant
bien des solutions d'espoir apparaissent en filigrane au travers de
l'information et du spectacle mŽdiatique, selon l'avis de certains.
Suffirait-il que les contours - non pas Žconomiques mais humains - soient plus
nets pour que le sens de l'Žchec, concernant ce sujet du ch™mage, s'efface
?
Les
montagnes russes.
La
mŽmoire est oublieuse. Le contentieux affectif inconscient subsiste.
La situation de l'emploi et du ch™mage a fluctuŽ au grŽ des
pŽriodes : de rigueur, mal supportŽe ; en espoirs dŽus, encore plus mal vŽcus,
tout au long de ce quart de sicle. Cet effet de montagne russes n'a-t-il pas
participŽ, sans que la volontŽ humaine y puisse quelque chose, ˆ l'usure de la
capacitŽ d'espŽrance des individus ? N'a-t-il pas favorisŽ l'Žmergence d'un
certain fatalisme que rien ne rŽussit ˆ
changer vŽritablement dans le fond ? N'est-ce pas ce qui fait rechercher, en
rŽponse, le "sens" de tout cela ? Cette notion de "sens"
commence ˆ tre ˆ la mode dans certains milieux intellectuels. Elle est mme rŽcupŽrŽe
par l'Žconomie et devient parfois un produit-concept
marketing de certaines officines. Il n'est pas sžr que les salariŽs s'en
contentent dans l'avenir si ce "sens" ne s'accompagne pas d'un
rŽajustement entre le social et l'Žconomique, et aille mme au-delˆ. Nous y reviendrons
dans la troisime partie. Nous savons que ce dŽbat sur le "sens" est
encore rŽservŽ ˆ des spŽcialistes et que le grand public n'y est pas sensible,
aussi il n'est peut-tre pas utile de le dŽvelopper plus ici.
PrŽfŽrons cette conception d'AndrŽ Malraux citŽe en
introduction. Nous pouvons la rŽpŽter pour sa force d'espoir : "La
civilisation du XXIe sicle sera mŽtaphysique ou elle ne sera
pas". Ce sens doit donc transcender la condition humaine ! Une recherche d'ƒthique dans l'Žconomie est une amorce
dans ce sens.
"On ne demande
pas la charitŽ, mais un peu de considŽration"
Parole de
ch™meur.
Le "Spectacle de la dŽchŽance".
"On ne parle toujours que des
exigences des patrons pour embaucher, que des conditions Žconomiques
nŽcessaires ˆ la reprise de l'activitŽ, du niveau des salaires qui influence
l'embaucheÉ mais nous demande-t-on, ˆ nous ch™meurs, ce que nous attendons du
monde de l'entreprise. On fait croire ˆ tout le monde que nous ne souhaitons
qu'un emploi. Alors on finit par croire pareil. Et par dire pareilÉ C'est vrai
qu'un emploi, c'est un moyen de retrouver sa dignitŽ. Mais pas n'importe quel
emploiÉ Ce que nous souhaitons, c'est pas la
charitŽ, mais un peu plus de considŽration de la part de l'administration,
comme de la sociŽtŽ."
En Žcoutant ces ch™meurs qui tiennent de tels propos,
entendons-nous le fond de leur attente ? Comment, si nous Žtions
attentifs, pourrions-nous concilier ce besoin de considŽration et l'aspect
nŽcessairement dŽvalorisant de l'exhibition trop prononcŽe de leurs malheurs ?
Le juste milieu entre Žvocation et spectacle est bien subtil. Tant™t l'Žmission
est pudique, tant™t violente malgrŽ des formes enveloppantes trompeuses. Mais dans tous les cas ne participent-elles
pas encore ˆ ce clivage entre ch™meur et non-ch™meur ? Parce que le problme
est mal posŽ dŽs le dŽpart. Nous verrons dans la deuxime partie comment mieux
le poser.
La
condition du ch™meur peut toujours dŽraper et conduire rapidement ˆ
l'exclusion, ˆ la pauvretŽ. La mise en scne de sa situation a ŽtŽ ŽvoquŽe plusieurs fois prŽcŽdemment
pour dire que le spectacle visuel de la dŽchŽance, au lieu d'apporter un soutien ˆ une cause, la fait
s'enliser dans les sable mouvants de l'Žmotion. Le conflit d'intŽrt entre la
demande de spectaculaire des spectateurs et des auditeurs,
et l'inefficacitŽ de la mŽthode, nŽcessite un choix difficile. Car il est
Žconomique lui aussi, puisque l'audimat
est le juge tout puissant ! La fracture est telle, ˆ ce propos, que bien des
gens s'opposent dans deux camps partisans, soit pour montrer, soit pour ne pas montrer. Le consensus sur une discrŽtion, pour le moment, ne
concerne que le plus horrible (et encore !É) !É).
Ainsi pŽriodiquement
les conditions dŽsespŽrŽes des ch™meurs sont ŽvoquŽes superficiellement. Les
raisons profondes de leur dŽchŽance ne sont mme pas recherchŽes. Du moins,
au-delˆ d'actes critiquŽs de quelques responsables qui servent de bouc
Žmissaire de circonstance.
Il est en effet extrmement difficile ˆ la vue de ces
spectacles de remonter toute la cha”ne comportementale qui favorise cette
fracture. Si dans l'avenir les acteurs
publics peuvent nous conduire le long de ces couloirs, au lieu de s'empresser de refermer la porte ds qu'une
explication est avancŽe, le spectacle pourra cŽder le pas ˆ la science.
Centrer
tout le dŽbat sur le ch™mage, parce qu'il est une prioritŽ nationale, ne serait
cependant pas plus souhaitable que la monomanie Žconomique, ou que toute idŽe
fixe. Mais observer un mŽcanisme social au travers d'un seul point de vue est
insuffisant pour le comprendre. Il y a donc peut-tre pour l'heure, surtout une
nŽcessitŽ de rŽŽquilibrage des points de vue.
Une
meilleure connaissance des mŽcanismes de communication y aide certainement. Ces
mŽcanismes ne l'oublions pas s'adressent ˆ la totalitŽ des moyens de perception
de l'individu : visuel et auditif, affectif et motivationnels, intellectuels
et intuitifs. Nos sens peuvent donc dŽjˆ
engendrer naturellement tant de distorsions et d'illusions qu'il n'est pas
souhaitable d'y ajouter des manipulations spectaculaires, jouant de l'Žmotionnel sous le prŽtexte trompeur de
"montrer qu'on a du cÏur".
De rares Žmissions autant pŽdagogiques que passionnantes,
dans l'esprit d'un "Arrt sur images", peuvent faire augurer
cependant de cette volontŽ des mŽdia de ma”triser leur avenir et de ne pas
favoriser la dŽcadence de la civilisation. Comme les jeux du cirque de
l'AntiquitŽ accompagnrent la dŽcadence de l'Empire romain. Il reviendrait sans
doute ˆ de telles Žmissions d'Žtudier de faon approfondie la manire dont le
ch™mage est traitŽ, de manire spectrale,
en fonction des "segments de marchŽ" socio-psychologiques auxquels
telle ou telle Žmission s'adresse ou s'est adressŽe dans le passŽ. Ce n'est pas
notre objectif car il dŽpasse le cadre du sujet.
Ë
propos du contenu des fictions, au cinŽma, ˆ la tŽlŽvision, il y a peu de chose
ˆ dire. Nous avons dŽmontŽ le cas d'un film, plus haut. Les sujets de sociŽtŽ
existent de tout temps et prennent le ch™mage ou l'exclusion comme thme. On
pense par exemple aux films de Claude Sautet des annŽes 70, qui correspondent ˆ
ce dŽbut du quart de sicle de ch™mage. Toute leur valeur dŽpend du gŽnie du
crŽateur. Notons que les contes de fŽe moderne sur le ch™mage permettent au
ch™meur de rver un moment. Ils font peut-tre plus pour diminuer son anxiŽtŽ
que les peintures rŽalistes qui le recentrent sur son drame et cet emploi
inaccessible ; et qui donnent mauvaise conscience aux non-ch™meurs.
Pourquoi
?É
Un tŽlŽspectateur faisait une remarque constructive ˆ
propos de cette information qui dŽsespre le ch™meur :
" On entend trop
souvent les informations nous dire que telle ou telle chose a cožtŽ tant. Mais
on ne nous dit pas assez combien elle a rapportŽ ; ˆ combien de gens elle a
permis de vivre. On devrait nous donner plus systŽmatiquement ces deux
informations complŽmentaires. Moi, dans mon entreprise, mon patron, lorsque je
viens lui demander un budgetdes moyens, me
rŽpond toujours : combien a cožte ; combien a rapporte ? Avant toute
dŽcision".
Notons que la bonne intention de ce tŽlŽspectateur,
recentre encore et toujours le dŽbat sur l'Žconomie. NŽanmoins, chacun
conviendra que cette manire de diffuser une information est ˆ la fois plus
objective, et agite attise moins
notre sentiment de rŽvolte. L'information dinformation, d'ailleurs,
suit ces deux tendances : l'une optimiste, bien que rare ; l'autre pessimiste,
et un peu pousse au crime. Aucune
information cependant n'est vŽritablement complte tant qu'elle ne rŽpond pas ˆ
la question subsidiaire : POURQUOI ?
Seul le POURQUOI ?É permet une approche des causes
profondes, sous-jacentes aux ŽvŽnements dont on ne nous montre que la carapace.
Or la mise en lumire des causes
conduit aux motivations de l'acteur en scne. C'est-ˆ-dire de nous-mme par
procuration. N'est-ce pas le seul moyen pour COMPRENDRE le sens du drame,
au-delˆ du voile Žconomique ?É Et de nous extraire de la douleur morale morale ?
L'information en miettes laisse ce gožt fade de
l'inachevŽ. Et il subsiste, comme toute l'opinion le ressent, un grand besoin
d'explication synthŽtique.
LA QUæTE DƒSABUSƒE D'ESPOIR.
L |
a boulimie
de consommation de ce sicle n'a pas ŽpargnŽ le bien de consommation
intellectuel et Žmotionnel qu'est l'information. La soif de conna”tre est
cependant une soif qui engendre le dŽsespoir lorsqu'elle n'est pas ŽtanchŽe,
comme dans le cas du ch™mage. Ce n'est pas la multiplication des exemples, des
hypothses, des "pistes" qui se comprennent de plus en plus comme des
culs-de-sac, qui viendront ˆ bout de cette soif. Les ch™meurs, en particulier
ceux qui sont installŽs dans une situation durable, ne deviennent-ils pas de plus en plus dŽsabusŽs ? Le
besoin d'espoir est tel, et l'offre si tŽnue et alŽatoire qu'ils ne peuvent que tourner le dos progressivement, ˆ
mesure que les mois, les annŽes, les dŽcennies passent, ˆ
ces miettes d'informations et de discours Žlectoraux de circonstance.
Peut-tre
le silence radio auquel nous faisions
allusion au dŽbut est-il une sorte d'Žcho muet de ce dŽsabusement ? Ou
peut-tre correspond-il ˆ une pŽriode de calme artificiel, comme dans l'Ïil du
cyclone ?É
Dernirement ˆ la radio, un sujet sur les travailleurs
mexicains (dŽnommŽs, les "poor workers", les pauvres travailleurs)
semblait susciter la rŽvolte et attirer la critique acerbe du systme qui
n'offrait pas d'espoir, de la part d'un participant ˆ cette Žmission. Une
rŽponse fut apportŽe par une autre personne, plus mesurŽe et objective :
"Ces travailleurs immigrŽs sont
pauvres, mais ils vivent quand mme mieux que chez eux. Sinon ils ne
viendraient pas aux ƒtats unis. Ils ont de l'espoir. Ils savent qu'ils pourront
un jour se sortir de leurs conditions de pauvretŽ. Alors que les ch™meurs
franais se sentent piŽgŽs dans une trappe[8] dont
ils ne pourront plus sortir."
Nous entendons dans ce court exemple comment procde
l'information dŽsespŽrante : l'esprit rŽvoltŽ s'obscurcit, globalise, et ne
communique que sa propre rŽvolte et ses propres illusions de justices. Au
dŽtriment de la rŽalitŽ des faits. Mme si cette rŽalitŽ imparfaite n'est pas
un idŽal, il est important de reconna”tre ce que les intŽressŽs y trouvent
comme raison d'espŽrer. Sans la colorer par des pensŽes personnelles
artificielles, cristallisŽes par notre vision Žgocentrique ; et la
retransmettre avec notre propre dŽsespoir. Nous croyons sans doute trop souvent
bien faire. Alors qu'il faudrait peut-tre faire plus consciemment et
objectivement. Le sujet est difficile ˆ cerner.
Le ch™meur, s'il Žtait mieux ŽcoutŽ, pourrait sans doute
aider ˆ cette objectivitŽ sur le sujet du ch™mage.
Une brve tentative avait ŽtŽ faite dans ce sens de donner espoir, en 1994, sur Arte, tard dans la soirŽe, pendant trente
minutes Et n'a jamais ŽtŽ poursuivie ! Bien peu de spectateurs ont dž voir
cette Žmission. Un ancien ch™meur en parle pourtant avec chaleur.
"Je ne me souviens que d'une seule
Žmission qui m'ait marquŽ ces dix dernires annŽes. J'Žtais au ch™mage depuis
trois ans, et je ne voyais pas le bout du tunnel. C'Žtait ˆ propos de l'ouvrage
d'un des participants, je crois[9]. Son
auteur dialoguait avec un matŽrialiste, un militant politique. Ce que je me
rappelle c'est qu'ils Žchangeaient posŽment leurs idŽes, l'un et l'autre, sans
s'invectiver et sans se critiquer personnellement comme c'est de coutumes ˆ la
tŽlŽvision, dŽs qu'il s'agit d'un dŽbat. Ils prenaient le temps de s'Žcouter ;
et nous avec. L'auteur sortait de leurs ornires chacun des propos de son
interlocuteur, avec courtoisie, avec patience. C'Žtait vraiment pour moi un
discours dŽmocratique comme je l'entends. J'avais zappŽ par hasard sur cette
cha”ne. J'ignorais ce que j'allais voir. Il n'y avait pas eu de publicitŽ pour
l'Žmission. Pourtant, j'Žtais ˆ l'affžt de tout ce que je pouvais trouver sur
le ch™mage. J'ai pensŽ ˆ cette Žpoque qu'on allait enfin avoir un dŽbat
instructif sur le ch™mage. Qu'on allait nous donner des raisons d'espŽrer. Moi
j'Žtais dans le noir le plus complet ! Et puis, rien !É J'ai revu le mme
auteur quelque temps aprs sur une cha”ne commerciale. L'animateur n'a pas
daignŽ lui donner la parole plus d'une minute. Il a juste pu dire juste trois,
quatre mots. Je n'ai pas compris pourquoi. ƒtait-ce un problme d'appartenance
politique qui entra”nait cette sorte de boycott ? Ou le sujet qui Žtait trop
hors des conventions ?É C'Žtait dommage, car la fois prŽcŽdente, ses
propos m'avaient regonflŽ et redonnŽ vŽritablement espoir. Et je pense que ceux
qui l'avaient entendu, aussi."
Bien des annŽes se sont ŽcoulŽes depuis cette
Žmission. Nous semblons tre toujours au mme point. C'est-ˆ-dire nulle part.
*
"Ceux
qui sauveront la plante, ce seront les plus fragiles" 710
L |
e
discours mŽdiatisŽ, celui qui s'adresse au plus grand nombre de ch™meurs,
pourrait-il les aider ˆ cet exemple ? Et par consŽquent tous les non-ch™meurs
qui souffrent Žgalement.
Pourrait-il s'ouvrir plus fraternellementchaleureusement
sur les solutions pratiques permettant des conditions de vie respectables, de
citoyen ˆ part entire ? Les perspectives historiques rŽsultant de cette crise
sans prŽcŽdent dans ce sicle, pourraient-elles tre mieux Žclaircies ? Une
expression sereine des chercheurs pourrait-elle trouver une plus large place ?
Les discours Žconomiques, financiers, pourraient-ils laisser un peu plus d'air aux autres ?É comme ces passagers assis dans un train
bondŽ, qui cdent leurs places aux plus vulnŽrables.
Pourquoi ne pas remettre l'Žconomie ˆ sa place relative[10] par rapport aux autres savoirs : la sociologie,
l'ethnologie, la biologie, la philosophie, la psychologie, la mythologie,
l'astronomie, la mŽcanique des fluides, la physique, la mŽdecine, l'histoire,
la thŽologie, la morale, l'Žthique, etcÉ ? Au lieu de lui laisser le pouvoir de "polluer"
notre existence, en introduisant sans cesse les germes de l'inquiŽtude, de la l'aviditŽcupiditŽ,
de l'Žgo•sme, par le seul fait de trop centrer notre pensŽe sur l'aspect
financier.
Reste-t-il
ˆ inventer, ou rŽinventer, une pŽdagogie qui n'ennuie pas, ni ne dŽvalorise
celui qui la reoit ? Notons au passage que l'entreprise est particulirement
friande de pŽdagogie. Mais elle l'appelle transfert de know how (savoir faire), comme pour mieux l'anoblir[11]
! Les mŽdia n'aurait-ils pas en matire
de pŽdagogie un magnifique r™le ˆ jouer ? N'ont-il pas cette vocation de facilitation
de la dŽmocratie ? Or sans un dŽcorticage
de l'information brute, donc sans pŽdagogie, le
citoyen ne peut rien comprendre ni exercer un choix valable. Sans cette
possibilitŽ de choix, aucune volontŽ du peuple ne peut tre insufflŽe aux
politiques. Les dirigeants ignorant ce que le pays souhaite, se trouvent alors
ˆ la merci des familles d'influence ; c'est l'inverse d'une dŽmocratie ! Il y a
donc un paradoxe que saisit bien le ch™meur : d'un c™tŽ les mŽdia ne cessent de
brandir le droit ˆ l'information, sans contre-pouvoir dit-on ; de
l'autre, le spectateur est totalement dŽsinformŽ sur ce sujet majeur en
particulier. Alors qu'il serait bien facile de leur redonner espoir. Comme quelque trs rares professionnels
ont su le faire ponctuellement. Puis s'en sont reparti sur la pointe des piedsÉ
Pourquoi ?
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dŽposŽ.
[1] Autre forme subtile de clivage !
[2] Correspondance tŽnue d'une pensŽe pŽdagogique en trois temps :
thse, antithse ET SYNTHéSE.
[3] ƒconomisme (terme
didactique). Doctrine qui attribue
aux faits Žconomiques un r™le prŽpondŽrant dans la politique, la civilisation,
etc.
[4]
Il suffit d'Žcouter sans
arrt, tout un aprs-midi, le BolŽro de Maurice Ravel, ou La ChevauchŽe des
Walkyries de Wagner, pour en faire l'expŽrience sur soi-mme et son
environnement ! Ce raccourci expŽrimental peut donner une petite idŽe de ce que
le ch™meur absorbe comme messages sur l'Žconomie et le ch™mage, pendant des
annŽes.
[5] Par exemple : "+ 8000 ch™meurs en aožt 99 ! Mais
la tendance ˆ la dŽcrue se maintient"É
[6] Se reporter au commentaire ˆ propos du graphique sur les dŽferlantes
du ch™mage (deuxime
partie, chapitre IV), sur la rŽpŽtition de cette dŽsinformation. On peut
comprendre qu'un gouvernement fasse preuve d'optimisme et ne laisse
transpara”tre aucune inquiŽtude. C'est le moindre de ses devoirs. Si les bases
de son analyse sont fausses, c'est toute la question sur laquelle porte cette
recherche. Mais que les mŽdia ne fasse pas preuve de discernement, en se
faisant "complices de la dŽsinformation", comme le remarque un
ch™meur, c'est encore un autre problme qui rejoint celui de l'information
dŽsagrŽgeante.
[7] Ce sujet dŽpasse de loin le temps du ch™mage qui dure
"seulement" depuis un quart de sicle. Par exemple, nous sommes
encore en train de battre notre coulpe ˆ propos de la collaboration et des
crimes nazis, aprs 60 ans. Mais si nous sommes plus attentifs, des conflits
historiques biens plus anciens ne sont toujours pas soldŽs aujourd'hui.
Certains remontent au moyen ‰ge, et mme ˆ deux mille ans !É Plus nous
parvenons ˆ rŽgler sur le champs un diffŽrend, plus nous sommes libres pour
l'avenir : n'y a-t-il pas lˆ un principe d'ƒthique trs "Žconomique"
?É
[8] Voir le commentaire ˆ propos de cette expression : tre dans
une trappe, au chapitre II
de la deuxime partie (paragraphe : travail personnel de rŽajustement des vrais
besoins).
[9] Sans doute : "Une sociŽtŽ en qute de sens",
Jean-Baptiste de Foucauld et Denis Piveteau. "Jean-Baptiste de Foucauld,
cet Žnarque au grand cÏur, est de ceux qui pensent que la France s'occupera
d'autant mieux du ch™mage qu'elle assumera positivement le non-travailÉ"
(Courrier cadre 18/12/1992).
[10] Comme dans certaines Žmissions dont c'est la vocation de
vulgariser l'Žconomie. Citons comme exemple Rue des Entrepreneurs, sur France
Inter. Ë propos du thme : "Quand la sociŽtŽ civile interpelle le
capital" (ˆ Davos) il y Žtait dit en particulier : "Ceux qui
sauveront la plante, ce seront les plus fragilesÉ ceux qui dŽrangent le
systme, perturbent la bonne conscienceÉ, qui obligent ˆ quitter la logique
ŽconomiqueÉ pour nous obliger ˆ faire un retour sur nous-mmes." (Le 5 /02/00).
[11] La communication interne et la formation relvent aussi d'un effort pŽdagogique, mais rentrent dans des stratŽgies d'entreprise qu'il n'y a pas lieu de dŽvelopper ici.