PAR Oô LE SCANDALE ARRIVEÉ
"Le dŽsordre
Žconomique n'est pas la cause du ch™mage".
PREMIéRE PARTIE PAR Oô LE SCANDALE ARRIVE
CHAPITRE I
AU DƒBUT ƒTAIT UN SALARIƒ
HEUREUX. — AU DƒBUT ƒTAIT UN PATRON CONFIANT. — ET
LE MANéGE TOURNAIT ROND. — Une
bataille de retard. — RƒACTIONS EN
CHAëNE. — Renverser la vapeur ? Un sens de l'unitŽ. — l'illusion
collective de la toute puissance de l'Žconomie. — Les vases
communicants. — Une erreur
marketing fatale.
RENAëTRE,
RƒCONCILIƒ. — Une
fidŽlitŽ conditionnŽe ˆ l'entreprise. — Le nÏud se tranche de mille et
une
manires. — Le salaire de la peur.
— Un thމtre d'ombres chinoises, aux effets pervers. — Un grand
poids en moins. — Un calme olympien. — En attente de la sociŽtŽ
nouvelle. — Le cas non particulier des fonctionnaires. — Le sens
omniprŽsent de l'Žchec. — L'auto-licenciement.
LE NÎUD GORDIEN
"L'homme
libŽrŽ de la peur possde dŽjˆ la clŽ
qui lui permettra de sortir de sa prison".
AndrŽ
KARQUEL
C |
ette premire partie est une mise
ˆ plat des diffŽrentes Žtapes
chronologiques possibles du ch™meur et des principaux clivages auxquels il va
tre confrontŽ. Elle peut servir dans une certaine mesure de dŽmarche
mŽthodologique pour repositiver des situations mal vŽcues qui auraient laissŽ
un arrire-gožt amer. Elle met aussi en lumire certains domaines de rŽflexion
plus gŽnŽraux concernant les remdes souhaitables, et dŽveloppŽs dans les deux
autres parties. Comme toute analyse, elle nŽcessite une capacitŽ de recul pour
Žviter de s'identifier aux situations de ch™mage parfois pŽnibles. Les faits
Žtant connus, nous allons les survoler assez rapidement pour poser le dŽcor.
AU DƒBUT ƒTAIT UN SALARIƒ HEUREUX.
"Les
annŽes passŽes, on travaillait avec passion. Certain week-end mme, je
confectionnais sur mon ordinateur un journal pour mon Žquipe rŽgionale. On ne
me demandait rien ; c'Žtait mon plaisir. Et puis, la nouvelle direction est
venue. Elle a commencŽ ˆ Žliminer les directeurs de service pour placer ses
hommes ˆ elle, aux postes de commande. Et chaque fois que nous cherchions ˆ
Žmettre une idŽe, on se faisait allumer. Tout le monde Žtait critiquŽ. La
menace de se faire virer Žtait constante, exemples sanglants ˆ l'appui. Alors,
j'ai ouvert le parapluie et je n'ai plus pris aucune initiative. Je me suis
terrŽ dans mon trou"É De tels propos,
qui n'en a pas entendu !
Le
rŽsultat objectif : la courbe de vente des produits en promotion a chutŽ
rapidement de moitiŽ, dans cette entreprise.
Quel enseignement simple retirer
de cette anecdote ?
La mŽcanique humaine s'est
grippŽe par la simple utilisation du management par la peur. Les rŽsultats
Žconomiques en ont p‰ti par ricochet.
Cette
liaison de cause ˆ effet est une Žvidence que tout sociologue des entreprises
conna”t bien ; que la menace soit subtile, voilŽe ou carrŽment violente et
destructrice. Alors pourquoi tant de managers succombent-ils ˆ la tentation de
brandir la menace ? Chacun peut vŽrifier cette erreur monumentale de management
ˆ son propre poste et arriver ˆ la mme conclusion : la peur peut - parfois -
Žviter de commettre l'irrŽparable chez celui qui transgresse les rgles de
sŽcuritŽ. En aucun cas elle ne le motivera ˆ donner le meilleur de lui-mme.
Les consciences Žmotives qui utilisent encore la mŽthode antŽdiluvienne du b‰ton
et de la carotte omettent un paramtre
essentiel : le libre arbitre de
l'homme et la capacitŽ de rŽsistance qui l'accompagne.
Le
problme se complique du fait que toute la hiŽrarchie dŽcisionnaire est soumise
ˆ de telles pressions, jusqu'ˆ tre vaincue elle-mme par ces forces
dissolvantes. Les managers ne trouvent le plus souvent comme exutoire que
d'Žvacuer ces Žnergies sur leurs subalternes ! N'est-ce pas la rŽalitŽ trop
souvent ?
"
Combien de managers de multinationale, j'ai vu, confiait un cadre dirigeant, au
dŽpart : des personnes sympathiques, pleines d'idŽes et avec qui il Žtait
agrŽable de travailler, perdre tout sens critique le jour o une trop forte
pression Žtait exercŽe sur leur tte par les grands manitous de l'Žtat-major ;
au point de devenir de vŽritables tortionnaires."
Cet
exemple ne recouvre pas toutes les situations, mais peut inspirer ˆ chacun des
questions simples :
-
Lorsque j'ai vŽcu, directement ou indirectement, une situation de crise dans
mon travail, la peur Žtait-elle ˆ l'Ïuvre ?
-
Comment les menaces s'appuyaient-elles sur cette peur ?
- Sous
quelles apparences ces menaces se dissimulaient-elles ?
-
Comment cette peur a-t-elle agi sur le
travail : en crŽant une agitation
laminante, progressivement stŽrile ? Une fuite et une inertie ?
- La productivitŽ de mon effort s'en est-elle ressentie ?
- Un
sentiment de rŽvolte en a-t-il rŽsultŽ
?
- Si
la confiance avait rŽgnŽ, la situation
aurait-elle ŽvoluŽe diffŽremment ?É
Pourquoi
enfoncer cette porte ouverte ? Pourquoi s'arrter ˆ cette Žvidence ? Quel
rapport cela a-t-il avec le ch™mage et ses causes conjoncturelles ?
Il faut bien croire que la porte
ouverte ne l'est pas tant que cela si l'on observe la situation actuelle
d'immobilisme - relatif - des entreprises. Ne parlons pas des entreprises qui financirement ou commercialement
mnent une guerre active, font des
bŽnŽfices ; mais des acteurs qui ont
perdu le plaisir du travail, la motivation pour donner plus qu'ils ne
donnent aujourd'hui et avec moins d'effort, l'envie d'entreprendre,
d'innover et de ne pas se contenter d'agir comme des pions manipulŽs par les
rgles qui leur sont imposŽs. On peut penser ˆ tous ceux que les mŽthodes
veulent transformer en robots, et qui n'ont plus l'Žnergie ou le temps de se
demander si ces rgles sont vŽrifiŽes, juste, saines ? On peut penser aussi ˆ
tous les travailleurs qui sont aussi des consommateurs inquiets et dont les
doigts se resserrent sur les cordons de la bourse. Les entreprises qui esprent
tre plus malignes, en Žconomisant sur l'humain, ne se rendent pas rŽellement
compte qu'elles ne sont qu'un atome
dans un univers, et qu'elles ne tireront pas leur Žpingle du jeu, au long terme, de la dŽgradation globale.
La peur
des dirigeants de ne plus tre compŽtitif, de voir les part de marchŽ diminuer,
la concurrence les Žliminer,
justifie-t-elle de faire retomber en cascade sur leurs Žquipes cette menace,
momentanŽment bien rŽelle par ailleurs ? Qui disait : commander c'est augmenter
le degrŽ de certitude de ses collaborateurs ? Chaque minute ce principe de
bonne santŽ moraleÉ et Žconomique, est
bafouŽ !
Lorsque
les rapports entre les hommes se tendent, lorsqu'il y a divorce entre les
aspirations lŽgitimes et l'aviditŽ (sÏur jumelle de la peur) : des uns, de
ne plus accepter d'tre les pions sacrifiŽs, des autres, de faire des profits toujours
plus importants, le champ est ouvert aux
rglements de compte.
Les uns
feront de l'inertie, inconsciemment ou non ; de la dŽfense passive. La capacitŽ de productivitŽ et d'innovation de
l'entreprise se dŽgradera progressivement. Les autres licencieront, en
consŽquence, les moins dociles qu'ils jugeront tre les plus fautifs. Cela est
schŽmatique, mais reflte une situation trs semblable ˆ un divorce. C'est
cette incompatibilitŽ ˆ vivre en bonne intelligence, sans trop d'aviditŽ et de peur, qui empoisonne toutes les relations et les chances de
construire en harmonie les mutations du XXIe sicle.
Les
acteurs socio-Žconomiques agissent comme s'ils prŽfŽraient la guerre, parce
qu'ils ont accumulŽ trop de petites rancÏurs. Faute d'avoir appris ˆ se parler
sur un pied d'ŽgalitŽ, sans arrire-pensŽe. La vraie guerre qui se dŽroule ˆ
nos portes ne leur sert mme pas de garde-fou (encore un exemple montrant que
la peur ne sert pas ˆ grand-chose lorsque des groupes sont saisis de frŽnŽsie
suicidaire). Ils ne font pas le parallle entre leurs actes
Žconomiques guerriers et les tueries physiques. Pourtant, les mmes causes
produisent les mmes effets ! Alors, des forces de rŽsistance ˆ une
Žconomie guerrire entrent dans la ronde ! Cela est si Žvident que
personne ne semble le voir vŽritablement. Ceux qui le savent paraissent
impuissants ˆ l'expliquer ; car on ne peut croire qu'ils se taisent
volontairement et pensent comme cet empereur romain de la dŽcadence :
"laissez les poisons jaillir de la boue" !, sans chercher ˆ secourir ceux qui souffrent.
Les
rŽconciliations ne sont-elles pas longues ˆ Žtablir parce que le pardon est
rare, la haine tenace, et les appŽtits individuels toujours trop vifs ?
Les
"bons" ne sont pas nŽcessairement ŽpargnŽs. Bien des entreprises dont
les modes de fonctionnement sont humains et la gestion saine, subissent le
contrecoup des destructions et des restructurations anarchiques par les
entreprises les plus fŽroces, et des congestions Žconomiques qui en rŽsultent.
Progressivement
les pouvoirs publics prennent les mesures qui s'imposent pour juguler les
dŽviations Žconomiques et sociales.
Mais en
attendant, les ch™meurs les plus vulnŽrables, financirement et affectivement,
continuent ˆ souffrir de bien des manires. Alors que leurs malheurs peuvent
tre soignŽs efficacement si la bonne volontŽ inspire tous les dŽcideurs.
Des
bibliothques entires sont remplies d'ouvrages sur la peur et l'angoisse. Un long
discours sur ce sujet serait dŽplacŽ. L'expŽrience conduit simplement ˆ mesurer
le rapport direct entre la peur et, par exemple, les rŽsultats d'une Žquipe de
vente, ou d'une Žquipe de recherche, et par consŽquent sur la bonne santŽ d'une
entreprise. Et la bonne santŽ morale, intiatrice d'une bonne santŽ Žconomique
(hormis d'autres mŽcanismes pervers) Žvite les licenciements, permet
l'embauche, et neutralise le ch™mage. Il n'est pas utile de parler de ces
autres mŽcanismes pervers, notamment financiers, qui font partie de la grande
guerre Žconomique du XXIe sicle ; ils secrteront Žgalement leurs anticorps en temps utile. Notre propos se limite aux remdes ˆ la
souffrance qui rŽsulte du ch™mage. Et l'on peut se demander si les responsables
ont vŽritablement conscience de l'immense portŽe de ce paramtre affectif de la
peur dans la mauvaise santŽ de leurs entreprises et de l'Žconomie ? Mauvaise
santŽ toute relative par ailleurs.
Ë
force d'avoir pris l'habitude d'agiter cet Žpouvantail ˆ tout propos, cette
peur pour la vie de l'entreprise nous habite constamment.
Vraisemblablement cette prise de
conscience n'est pas faite, si l'on en juge par ce que l'on peut observer.
Pourtant, on croit ˆ l'effet papillon -
grandeur autrement nŽgligeable - sur l'apparition de cataclysmes d'un c™tŽ de
la plante ˆ l'autre, sans rŽaliser qu'il y a aussi un rapport de cause ˆ
effet entre la gestion erronŽe des rapports humains et une rŽcession Žconomique. En outre, le fait de ne pas expliquer au public le fond
des choses, de laisser trop de zones
d'ombre, soit par impuissance ˆ comprendre
soi-mme, soit par manque de force de volontŽ, soit de propos dŽlibŽrŽ et
machiavŽlique, est une forme subtile de manipulation de la peur tout aussi
pernicieuse. Qui peut encore penser que la rŽtention d'information est une
forme de pouvoir ? Qui croit encore qu'il Žvitera un scandale en cherchant ˆ
Žtouffer une "affaire" ? N'est-ce pas plut™t en sachant, le cas
ŽchŽant, faire amende honorable, qu'on Žvite de s'emptrer ? Alors, pourquoi
a-t-on aussi peur d'expliquer ? Le dŽsir du pouvoir serait-il comme un serpent
qui se mord la queue ?É
Notre
rŽflexion nous porte donc irrŽmŽdiablement ˆ ce retour ˆ la source du
problme ; comme une rŽaction chimique se comprend en partant des substances
mŽlangŽes ˆ l'origine. Dans quelle mesure ce verrou de la vitalitŽ humaine peut-il tre ouvert ? N'est-ce pas de cette manire que
les "Žnergies vives de la SociŽtŽ peuvent tres libŽrŽes", pour faire
Žcho ˆ un propos politique qui a ŽveillŽ dans la conscience populaire un grand
espoir informel ?
Chacun
n'a-t-il pas en lui la clŽ du problme, et une partie de la solution gŽnŽrale
au ch™mage ?
Faut-il
toujours crier au scandale, pour lutter efficacement contre le ch™mage ? Cette
agitation Žmotionnelle sert-elle ˆ
grand-chose ? N'est-ce pas plut™t en exerant patiemment une ferme volontŽ de ne pas se laisser manipuler par la peur, que chacun
peut s'attaquer ˆ la source de ce mal, dans son environnement immŽdiat, tout de
suite ? Un acte de RŽsistance est par essence le Refus d'individus qui luttent
dans l'ombre ! Le combat contre le ch™mage semble titanesque, mais une chose
est certaine : les solutions ne viendront pas de l'extŽrieur, mais du nombre de citoyens qui relveront la tte et
diront NON aux fausses valeurs et ˆ leur garde-chiourme : la PEUR.
Mais
n'allons pas trop vite dans la recherche de remdes aux clivages et continuons
ˆ observer le cÏur des entreprises.
AU DƒBUT ƒTAIT UN PATRON CONFIANT.
"
Si vous voulez prendre quelques jours de vacance, en plus
des jours lŽgaux, sentez-vous libre d'organiser votre temps ˆ votre convenance.
Arrangez-vous avec vos collaborateurs". Ainsi s'exprimait un dirigeant en engageant un jeune cadre.
Cela surprendra plus d'un lecteur,
mais le cas n'est pas une fiction ni une exception. Les syndicats de cette
entreprise n'Žtaient certainement pas au courant. Nous pourrions entendre d'ici leurs clameurs indignŽes par
ce crime de lse-ŽgalitŽ, par cet abus de privilge au profit d'une minoritŽ !
Mais ne rentrons donc pas dans la polŽmique et essayons de comprendre et
d'analyser l'aspect positif de ce comportement qui peut tre qualifiŽ
de paternalisme ŽclairŽ par les uns, ou
de bon sens managŽrial et de gŽnŽrositŽ lucide, par d'autres.
Il y a
d'abord un paradoxe insoutenable : d'un c™tŽ la sociŽtŽ n'arrte pas de
revendiquer plus d'humanitŽ, de dignitŽ, de considŽration pour les individus.
On veut que chacun soit unique. Et d'un autre c™tŽ, au prŽtexte de
l'ŽgalitŽ, de la "justice sociale", les mesures administratives et
les stratŽgies revendicatives tendent, dans la pratique, ˆ laminer toutes
les diffŽrences. Chacun l'observe, sidŽrŽ.
Que veut-on : des clones d'un modle idŽal hypothŽtique ? Ou des tres uniques,
diffŽrents ; libres, dans la mesure o les proches ne sont pas lŽsŽs ? Mme si
des lois obsoltes et injustes de surcro”t sont transgressŽes ; montrant par lˆ
qu'elles doivent tre plus rapidement assouplies. Veut-on laisser les rapports
humains s'ajuster dans une multiplicitŽ
de dialogues tolŽrants ? Ou laisser ˆ l'intellect le pouvoir d'imposer des
rgles qui cristallisent aussit™t et paralysent les bonnes volontŽs ? Que se
passe-t-il rŽellement en cette pŽriode si trouble de l'histoire o deux
civilisations se passent le pouvoir - comme des coureurs le tŽmoin - dans
cette course vers le XXIe sicle ? Le Nouveau monde ne cesse de nous rappeler le
terme de flexibilitŽ ; et ˆ c™tŽ de
cela, en France les habitudes, les comportements, les rglements, les lois sont
magistralement ˆ la tra”ne ! Ë moins que, devenant implosifs, ces arcs-boutements
mentaux ne participent ˆ leur manire au
GRAND CLIVAGE, nŽcessaire ˆ la destruction des vieilles structures mentales qui
hier encore ont fait la grandeur de notre pays ?É
Et si
?É Et siÉ ce mode de management soi-disant paternaliste, contenait cependant un
enseignement Žthique ? Dans la pratique - car la dŽmarche scientifique n'admet que l'expŽrience
comme confirmation de ses hypothses - sur quoi dŽbouche-t-il ?
Pour ceux qui en parlent, cette
pŽriode a ŽtŽ la plus heureuse sur le plan du vŽcu individuel. Mais Žgalement
la plus bŽnŽfique, du point de vue des rŽsultats financiers, en comparaison
avec ce que la restructuration qui a suivi a fait comme dŽg‰ts.
"
Les cadres n'Žtaient pas, bien entendu, les seuls bŽnŽficiaires de cette
libŽralitŽ, prŽcise ce jeune embauchŽ.
Chacun, ˆ sa mesure dans tous les services, y trouvait son
compte et son Žpanouissement. Loin d'en
abuser, cette licence avait l'effet de stimuler la bonne ambiance et le
travail. Les salariŽs n'Žtaient pas ŽpuisŽs.
Ils n'avaient pas peur ˆ tout bout de champs d'tre sanctionnŽs. Lorsque des fŽlicitations Žtaient
distribuŽes, en revanche, elles n'Žtaient pas entachŽes d'un soupon de
manipulation. L'esprit de jeu dans ce
qu'il a de plus crŽatif n'empchait pas chacun d'accomplir sŽrieusement sa
t‰che. C'est lorsque les "terrassiers" sont arrivŽs et ont commencŽ ˆ
dire : maintenant on va enfin travailler ; on va vous apprendre ˆ devenir de
vrais prosÉ que les choses ont dŽgŽnŽrŽ. Le cÏur n'y Žtait plus. Ils ne se
gnaient pas pour afficher leurs intentions. Comme il leur fallait un seuil
minimum de part de marchŽ en Europe pour tres compŽtitifs, tout Žtait bon pour
racheter des entreprises comme la n™tre et dŽblayer tout ce qui pouvait accro”tre
rapidement la rentabilitŽ pour les financiers devenus tout puissants, et les
actionnaires. Ou les individus se soumettaient, ou ils dŽgageaient."
Cette ambiance
ludique et dŽtendue trouve peut-tre encore ici et lˆ un terrain favorable
pour s'Žpanouir, mais le contexte gŽnŽral pse maintenant trop lourdement pour
Žpargner la plupart des entreprises. Ë force d'avoir cumulŽ ces dernires
dŽcennies une myriade de petites nŽgations des valeurs humaines de ce genre, la sociŽtŽ tout entire est asphyxiŽe par les
mauvais rŽflexes, le ch™mage et l'apitoiement sur soi. Parce que l'anxiŽtŽ r™de
comme un chacal. Tous ces concepts-Žpouvantails de performance, de
compŽtition, de rentabilitŽ, etc. sont
maintenant suspendus comme une ŽpŽe de Damocls au-dessus de la tte de tout
salariŽ.
Ces concepts sont nŽanmoins des
rŽalitŽs, mais des rŽalitŽs relatives,
qui n'ont de vŽritables significations que pour les spŽcialistes. Il n'y a pas
de raison de les agiter ˆ tout bout de
champ, comme les CAUSES du malheur. Ils n'en sont que les EFFETS conjoints.
Notre vieille civilisation n'aurait-elle pas la f‰cheuse habitude de mettre la
charrue avant les bÏufs ?
La vraie
performance, la vraie compŽtition, la vraie rentabilitŽ, rŽsultent bien plus sžrement d'un climat de sŽrŽnitŽ et de
joie, que de crispation. Cette comprŽhension fait doucement son chemin dans
les consciences. Elle permettra peut-tre
ˆ une civilisation de la douleur de s'Žteindre et ˆ une autre joyeuse, de na”tre.
Certains se demanderont de quel bois est fait ce patron ?
"Il
n'est ni meilleur ni pire qu'un autre, de l'avis d'un de ses proches
collaborateurs. Sa force est de faire confiance d'une part, et de ne
pas imposer ses mŽthodes d'autre part. Tout en gardant une main ferme sur
les dŽcisions vitales qui sont de sa responsabilitŽ. Il sait rester ˆ sa place,
ne pas se substituer ˆ ses collaborateurs. Il n'inquite pas son Žquipe ˆ
propos de ses propres doutes, mais au contraire a toujours une parole confiante
en l'avenir. Comme les paysans d'autrefois, il se tait lorsque la rŽcolte est
mŽdiocre, et se rŽjouit lorsque l'annŽe est favorable ; sachant que la
saisonnalitŽ, la conjoncture sont des paramtres qui dŽpassent le faible
pouvoir de l'homme. Et qu'il n'y a pas lieu de s'en alarmer ; car aucune
situation ne reste Žternellement mauvaise. C'est surtout un bon vivant, qui
aime que tous ses collaborateurs soient heureux et ne manquent de rien. Il va ˆ
la chasse le lundi, c'est pourquoi le conseil de direction est repoussŽ au
mardi. Il prŽfre parler du dernier match au repas et consacrer juste le temps
nŽcessaire aux rŽsultats financiers quand il le faut ; ce n'est pas un
obsessionnel ni un parano•aque des chiffres. C'est cependant un homme prŽcis,
rigoureux et responsable. Il fait face en cas de crise. Mme alors, je ne l'ai
jamais vu agiter une menace, mais plut™t dŽtendre l'atmosphre en
plaisantant. Et a marche. ‚a
marche mme trs bien".
En entendant ce tŽmoignage, on comprend par contraste
que dŽsir de puissance et peur sont intimement liŽs.
Ceux
qui sont aux premires loges des rachats d'entreprises et des restructurations,
particulirement celles o le pouvoir financier international entre en collision avec la mosa•que de structures
traditionnelles nationales, peuvent
observer plus nettement ˆ l'Ïuvre ce dŽsir ou cette volontŽ de puissance,
destructrice de l'individualitŽ. Mme dans
de petits supermarchŽs de chef-lieu de canton nous pouvons rencontrer des
employŽs de plus en plus moroses, ˆ mesure que les astuces du "merchandising"
enjolivent les rayons et brise
paralllement les caractres ! Le pouvoir en soi n'est pas critiquable. C'est
son usage qui n'est pas toujours judicieux. Pas judicieux car au final, son
abus cožte plus qu'il ne rapporte ! Mais lˆ est un autre dŽbat de chiffres qui
n'intŽresserait que les Financiers, et les actionnaires.
L'ambiance
devient oppressante ˆ tous les niveaux.
"
Lorsque je m'absente un aprs-midi pour aller m'acheter des vtements, confiait
un Directeur gŽnŽral ˆ un de ses collaborateurs, je me sens en faute.
Sa
semaine de travail est pourtant plus proche de 75 heures que de 35, faisait
remarquer ce collaborateur. Fort de cette rŽflexion, ajoutait ce dernier, j'ai
pris conscience de toute la culpabilitŽ qui entache la notion de travail. Pour
conjurer cela, j'ai utilisŽ une sorte de gri-gri en prenant sur moi d'emmener,
de temps en temps, ma propre Žquipe voir un film l'aprs-midi, pendant les
heures de bureau. Je sais que cela peut para”tre dŽmagogique aux yeux de
certains, ou choquant et peu sŽrieux. Mais a l'est ˆ mon sens bien moins que
l'absentŽisme ou certaines mŽthodes de travail proches de l'endoctrinement. De
toute manire, le rŽsultat est lˆ : l'Žquipe fonctionne en harmonie et a
d'excellents rŽsultats."
Faut-il
voir dans ce cas un Žloge de la paresse ? Ou au contraire un exemple de
capacitŽ d'adaptation aux pressions inŽvitables de la vie professionnelle ? Ce
qui importe n'est-il pas le libre accord des participants pour instaurer le climat
de travail qui leur convient le mieux ?
D'ailleurs bien des secteurs professionnels aux horaires trs Žlastiques n'ont
pas d'Žtat d'‰me ˆ ce propos. Vus de l'extŽrieur, tous les jugements de valeur
sont possibles. On voit mal, par ailleurs, un syndicat revendiquant un tel
libŽralisme. Rien ne les empche en revanche de dŽfendre ici le droit ˆ la
diffŽrence (paradoxalement mis en avant
ailleurs) quand certains cherchent ˆ revenir sur les habitudes acquises et ˆ
standardiser tous les comportements. Tout en respectant un minimum d'ŽquitŽ.
N'est-ce pas uniquement lorsque cette ŽquitŽ veut devenir uniformitŽ qu'elle dŽpasse son but ? Quant au patron, qui n'ose pas, peut-tre devraient-il, comme ce Directeur gŽnŽral dont
nous parlions, se libŽrer de la culpabilitŽ pour essayer et se rendre compte
par lui-mme. (Notons au passage que cette
culpabilitŽ superficielle va parfois de pair avec la volontŽ de culpabiliser
les autres, en l'institutionnalisant comme mŽthode de management, pour asseoir
son pouvoir).
Les cas
ŽvoquŽs ci-dessus et leurs dŽrapages ont certainement existŽ de toute ŽternitŽ,
car ils ont la nature humaine comme source. Mais certaines Žpoques voient des
phŽnomnes diffus devenir monstrueux,
par quelque obscure raison de l'Histoire.
Notre sicle foisonne d'exemples dans tous les domaines. La volontŽ de pouvoir
totalitaire est une force destructrice. Lorsqu'elle reste marginale et ˆ un
niveau subconscient, elle est tolŽrŽe par les sociŽtŽs timorŽes ou encore dans
leur phase d'adolescence. Mais elle produit quand mme ˆ terme des effets
destructeurs. L'tre humain, libre par essence, ne peut supporter longtemps le
joug des dictatures de toute nature. Il en est de mme au sein de l'entreprise.
Aujourd'hui un certain nombre de ces "prŽdateurs" sont ˆ l'Ïuvre,
personne ne le nie. Loin de pr™ner une chasse aux sorcires en dŽsignant des coupables, ce qui masquerait le problme
d'ensemble, ne vaut-il pas mieux que les mentalitŽs apprennent d'abord ˆ
s'immuniser contre leur venin, pour conquŽrir leur libertŽ. Sinon ces excs ont comme consŽquence, insuffisamment
perue par l'opinion, que la conscience humaine entre en rŽsistance et que
son arme ultime est le ch™mage.
Sur
le bien fondŽ de la nŽcessaire transformation des entreprises, il est inutile
de s'attarder. On ne met pas de vin nouveau dans de vieilles outres, dit le proverbe. Que cette transformation passe par la
disparition de structures inadaptŽes, cela est une Žvidence. Mais si le bateau
doit tre coulŽ, les passagers ne doivent-ils pas tre sauvŽs ? Lˆ est la
quadrature !
La
volontŽ de puissance des uns, mal inspirŽe par un sens dŽsŽquilibrŽ des
valeurs, et le fatalisme des autres, n'ont-ils pas avantage ˆ faire place ˆ une
bonne volontŽ commune ? Pour comprendre, et se comprendre avant tout.
Faute de quoi le conflit perdurera aussi longtemps que la menace n'aura pas
disparu. La menace du ch™mage sera ˆ la longue moins effrayante que la menace
de perdre son intŽgritŽ, sa libertŽ. Cette menace du ch™mage joue apparemment
dans le sens contraire, dans un premier rŽflexe de survie, et peut pousser un
salariŽ ˆ accepter de faire des choses que sa conscience rŽprouve, mme si
elles restent lŽgales. Ce point nÕest peut-tre pas Žvident pour tout le monde.
Dans
les nŽgociations avec des organismes officiels, certains patrons
n'obtiennent-ils pas des rŽsultats par le chantage au ch™mage,
trompeusement appelŽ chantage ˆ l'emploi.
Mais de quelle valeur sont ces emplois ? Cela Žvite ponctuellement des pertes
de revenu. Cela n'a pas empchŽ des millions de ch™meurs de stagner au bord de
la route. Lorsque la coupe est pleine, le salariŽ rompt le contrat de travail,
ou se comporte de telle manire que le patron y met fin. Le rŽsultat est le
mme.
Le
ch™mage se rŽpand maintenant au point de risquer de dŽtruire une civilisation
plus sžrement que la baisse des profits
ou les stagnations de parts de marchŽ,
qui peuvent se gŽrer autrement qu'en licenciant.
ET LE MANéGE TOURNAIT ROND.
L'entreprise,
outil de production, centre de profit, parfois plate-forme d'invasion d'un continent, est un extraordinaire creuset o
s'Žquilibrent les rapports humains.
En a-t-on vŽritablement conscience et en voit-on le bŽnŽfice humain final,
obnubilŽs que nous sommes par le bŽnŽfice financier exclusif ?
C'est particulirement dans ce dernier
sens de : creuset o s'Žquilibrent
les rapports humains, que l'entreprise
acquiert ses lettres de noblesse. LorsquÕune
fraternitŽ ˆ la dŽcouverte d'elle-mme,
domine les robots, les mŽcanismes Žconomiques et les procŽdures, au profit de
l'Homme, et non l'inverse.
N'est-ce pas seulement ˆ ce prix qu'elle peut ambitionner une entrŽe
triomphale dans la Civilisation en Žclosion ?
Des
prŽmices, souvent ŽtouffŽes dans l'Ïuf, ne nous indiquent-elles pas l'effort de
l'homme pour aller dans cette direction ? La tentative avortŽe d'instauration
d'un bilan social, mesurant la bonne
santŽ des rapports humains dans l'entreprise, en est un tout petit indice.
L'essai infructueux de remplacer la bipolaritŽ des discussions sociales, d'o rŽsulte une dualitŽ conflictuelle
patron-syndicat, par des Žchanges triangulaires plus rŽgulŽs, en donnant, par
la loi dans les annŽes 80, une capacitŽ nouvelle de discussion aux cadres, est
un autre exemple. Malheureusement, la bonne volontŽ, ou la comprŽhension,
n'Žtaient pas encore au rendez-vous dans ce dernier cas.
NŽanmoins,
tant que les pressions Žconomiques, financires, idŽologiques, conquŽrantes se
situaient ˆ un niveau tolŽrable, les explosions sociales Žtaient ma”trisables,
mai 68 mis ˆ part, et le climat des entreprises supportables ˆ bien des Žgards.
Mme si de constants progrs restaient encore indispensables. Mais depuis un
quart de sicle, le ch™mage a explosŽ. On n'espre plus que le contenir dans
des limites politiquement acceptables, faute de l'Žradiquer. Nous reviendrons
sur les discours en trompe lÕÏil et les silences de la sociŽtŽ.
Les
relations des entreprises nationales avec les multinationales dŽbarquant, ont
ŽtŽ un temps, plus dans le sens de l'Žchange de savoir-faire.
"
J'ai beaucoup appris, raconte un cadre franais, en voyant comment mes
homologues europŽens et amŽricains travaillaient. De la superorganisation
allemande, au pragmatisme amŽricain, malgrŽ une touche de suffisance, en
passant par la sympathique dŽbrouillardise italienne, le scepticisme lucide des
Anglais, l'imitation du grand frre amŽricain, par les Grecs philosophes et
sans complexeÉ, toutes les filiales de mon groupe, avec leurs mŽthodes propres,
arrivaient ˆ d'excellents rŽsultats. Les sŽminaires internationaux Žtaient des
moments fructueux d'Žchanges professionnels. En rentrant, on Žtudiait avec nos
propres Žquipes comment mettre ˆ profit ces diverses mŽthodes et les adapter ˆ
notre mentalitŽ.
Et
puis, on ne sait quelle mouche a piquŽ un beau jour certains Žtats-majors !
Depuis ce moment, tout le monde doit penser de la mme manire et porter le
mme uniforme comportemental. Mais certains modes de pensŽe resteront toujours
comme des costumes trop ŽtriquŽs".
En
repensant ˆ ce que disait ce cadre, la comparaison s'impose avec des exemples
caricaturaux, diffusŽs ˆ la tŽlŽvision ces derniers temps. Les rŽflexes
professionnels demandŽs ˆ ces employŽs, dans le domaine de la restauration
rapide, ne sont-ils pas proches des mŽthodes d'endoctrinement les plus
insupportables ? Ce n'est ni l'uniforme qu'on leur demande de porter, ni les
rgle sanitaires strictes qui sont en cause, mais le fait qu'en dehors de la
"pensŽe du groupe", il n'y a aucune place pour l'individualitŽÉ Pourtant l'AmŽrique est la
terre de la libre entreprise par excellence ! Elle nous apporte une aide
incontestable par son pragmatisme, son esprit positif. Tandis que la crŽativitŽ
franaise compense leur trop grand formalisme.
De
mme, dans cette usine de l'est de la France, la manire de mettre ˆ l'Žcart, dans des services fant™mes, des salariŽs accusŽs de sabotage, pour les humilier et les forcer ˆ dŽmissionner, ne
semble-t-elle pas sortie tout droit du camp de concentration du Pont de la
rivire Kwa• ? Les syndicats ont rŽagi et
obtenu gain de cause. L'affaire a ŽtŽ traitŽe comme un fait divers. Son
Žvocation est propre ˆ renforcer les germes de nationaliste, par rŽflexe
Žmotionnel ; on peut le comprendreÉ Pourtant, cette civilisation Žtrangre
offre des apports positifs, par exemple au niveau de sa ma”trise en matire
d'Žlectronique, d'optique ou de microchirurgie oculaire. Mais n'y aurait-il pas
lˆ aussi matire ˆ rŽflŽchir plus profondŽment, aux mŽthodes de management et ˆ
leur importation sans
discernement.
L'expŽrience
montre que la nŽcessitŽ d'adapter les mŽthodes ˆ l'esprit d'un peuple diffŽrent
n'est jamais la prŽoccupation de bien des multinationales, mme lorsqu'elles
jurent le contraire. Pourtant il y a beaucoup de choses ˆ prendre et ˆ donner
dans l'Žchange des cultures. Mais RIEN sous la menace. On use sa salive ˆ
vouloir expliquer cela dans une multinationale. Alors, lorsque la casse sera ˆ
son comble, on pourra dire que dans le malheur, les ch™meurs et leur effet
boomerang sur l'Žconomie, auront permis
d'Žveiller les consciences. Pourquoi ne pas l'avoir fait avant ? Mais il n'est
jamais trop tardÉ
Les
restructurations sont loin d'tres inutiles, non seulement sur un plan
financier ou stratŽgique, mais pour permettre parfois d'assainir de vieilles
structures, des attitudes rigidifiŽes, des mŽthodes de travail obsoltes,
d'Žliminer des produits dŽpassŽs ou moribonds qui s'acharnent ˆ survivre, on ne sait trop bien pourquoi. Ou plut™t, on le sait trs
bien : ˆ cause des mentalitŽs trop conservatrices. Ces transformations
matŽrielles permettent de donner une nouvelle chance aux individus libŽrŽs des
anciens carcans. Mais il faut toujours se demander si les nouvelles mŽthodes imitŽes
ne sont pas elles-mmes, dans une certaine
mesure dŽjˆ obsoltes. Si l'homme ne suit pas, si le ch™mage asphyxie
l'Žconomie, n'a-t-on pas un critre de choix pour rŽŽtudier ces mŽthodes de
gestion et de management ? Il n'y a aucune raison de se battre, puisque tout le
monde a le mme but : le progrs de l'Žconomie pour un plus grand bien
tre collectif. Du moins dans l'idŽal. Mais les individus perdent si facilement
de vue leurs idŽaux !É
Maintenant,
les tensions sont vives au point d'avoir fait imploser le systme en libŽrant l'anticorps du ch™mage en grande quantitŽ. Et peut-tre en plus grande
quantitŽ encore, si nous n'y prenons garde ˆ temps.
Ë propos de ces termes mŽdicaux,
gardons toujours ˆ l'esprit que la sociŽtŽ est un corps composŽ d'unitŽs humaines ˆ l'instar des cellules de
l'organisme. Les mmes rgles de bonne santŽ s'y appliquent. Le lecteur aura
peut-tre quelque difficultŽ au dŽbut ˆ assimiler le ch™mage ˆ un mŽcanisme
antigne-anticorps. Mais s'il laisse son imagination crŽatrice le guider, il
lui sera plus facile de percevoir cela comme une rŽalitŽ concrte. Cette
comparaison mŽdicale rendra peut-tre plus vivante la comprŽhension des
mŽcanismes sociaux auxquels nous cherchons ˆ rŽflŽchir.
Le
malheur est-il venu de l'Ouest, lorsqu'une volontŽ conquŽrante est venue
s'imposer en Europe, comment le pensent certains ? DoublŽ maintenant d'un vent
d'Est. Ne retrouve-t-on pas, ˆ la racine des regroupements, rachats et autres
restructurations venus d'ailleurs, toujours ce mme acharnement ˆ S'IMPOSER, en
imposant des mŽthodes ? Souvent ces
mŽthodes ne sont pas mauvaises en elles-mmes. Mais elles deviennent nocives
lorsque le management qui les met en place nie l'individu dans ce qu'il a
d'unique et d'inaliŽnable : son gŽnie individuel.
Les
licenciements, pour amŽliorer ou sauver la rentabilitŽ n'est qu'un aspect, mme
s'il est majeur et spectaculaire, d'un mŽcanisme plus totalitaire ou sectaire
ou intŽgriste qu'il n'y para”t. C'est en fait un laminage des individualitŽs, sous le couvert aseptisŽ des rgles de bonne gestion
financire, et de "bonnes pratiques" dÕentreprise.
Il n'est pas question de nier
qu'il y a des causes rŽelles pour licencier ˆ grande Žchelle, du moins au
niveau d'un bilan. Mais il faut se demander : POURQUOI en est-on arrivŽ lˆ ? Il
est trop tard pour se demander si on aurait pu faire autrement. Mais pas trop
tard pour se demander ce que l'on veut vŽritablement ˆ terme.
Pour
prendre un parallle dans l'histoire contemporaine, personne n'est parvenu ˆ
vaincre la dŽtermination des Vietnamiens, des TibŽtains ou d'autres peuples
opprimŽs, ˆ conserver leur libertŽ. Cela parce que chaque peuple pense ˆ sa
manire et non selon un stŽrŽotype universel. Cela parce que chaque peuple
rŽsiste, avec d'autant plus d'Žnergie qu'il est menacŽ de dispara”tre. Alors,
pourquoi les entreprises rŽussiraient-elles lˆ o les armŽes ont ŽchouŽ ?
Bien sžr,
il y aura toujours des partisans du tout ou rien, qui ne rechigneront pas ˆ
endosser les uniformes d'une autre culture ; parce que leur Žtat d'esprit est
en phase avec elle. Cela est aussi leur droit. Mais qu'est-ce qui les pousse ˆ
faire un prosŽlytisme forcenŽ ? S'ils imposent sans nuance des mŽthodes qui ne
conviennent pas ˆ d'autres, ils ne doivent pas s'Žtonner des rŽsistances.
Ils doivent aussi mesurer les consŽquences sur la microŽconomie ; et s'ils ont un sens civique, de cette dernire sur la macroŽconomie. Cela non seulement pour les autres mais pour eux-mmes,
car ˆ terme, ils seront toujours
perdants. Or une entreprise doit, ou devrait viser la pŽrennitŽ dans le
temps, plut™t que de pratiquer la tactique de la terre bržlŽe.
Le
propos de ce chapitre n'est pas de construire ou de reconstruire un manuel de
la parfaite gestion d'une entreprise, mais simplement d'essayer de dŽgager la
cause premire qui conduit au ch™mage de masse. De tout temps, des
scientifiques, des sages, des politiques, ont cherchŽ ˆ nous sensibiliser ˆ ces
rgles immuables de cause ˆ effet. Le
Professeur Henri Laborit, par exemple, a inspirŽ un film modeste mais
intelligent, Mon oncle d'AmŽrique,
montrant le parallle entre les rŽactions d'agressivitŽ des animaux et celles
des humains vivant en communautŽ. Il met parfaitement en lumire le cercle
vicieux de la peur et de la violence, dont
les individus ne sortent jamais, s'ils y adhrent.
Les
philosophes modernes par ailleurs, tout en reconnaissant la complexitŽ
croissante de l'Žconomie, s'accordent pour considŽrer les causes des
dŽsŽquilibres comme trs simples, si on ne les complique pas par des calculs
statistiques ˆ l'infini et un jargon inutile. Ces causes se ramnent ˆ deux
facteurs : l'Žgo•sme et la rapacitŽ.
La rapacitŽ s'entend le plus souvent en rapport avec l'argent, acquis
rapidement et de manire brutale, au dŽtriment des autres. Mais ce terme peut
aussi faire allusion, en plus, ˆ une aviditŽ immodŽrŽe pour le pouvoir.
Le
second facteur d'Žgo•sme, lorsqu'il est
ŽvoquŽ en tant que facteur de dŽsŽquilibre de l'Žconomie, a souvent un
arrire-fond moralisateur, de la part de celui qui pointe de tels
comportements. Sa dŽnonciation est alors peu efficace. Car ˆ l'attaque brutale
rŽpond une dŽfense immŽdiate qui fige les positions. Exactement comme un germe
s'enkyste instantanŽment sous l'effet d'alcool d'un degrŽ trop ŽlevŽ. Mais si
cet Žgo•sme est reconnu d'un point de vue plus rationnel, il peut fournir ˆ
celui qui s'Žmancipe de son esclavage, un bŽnŽfice dynamique important en
termes de libertŽ personnelle. La ma”trise de l'Žgo•sme offre de surcro”t
l'opportunitŽ d'instaurer un vŽritable dialogue productif avec l'autre. Ce
rŽajustement des relations bŽnŽficie durablement aux deux parties. Si l'Žgo•ste
connaissait scientifiquement cela, il cesserait sur le champ de l'tre !É
Que
nous soyons ch™meurs ou salariŽs ou patron, en pensant ˆ notre propre
expŽrience de l'entreprise, petite ou grande, nous pouvons nous rendre compte
que nos comportements Žgo•stes peuvent tre modifiŽs dŽjˆ de manire trs
simple et trs pragmatique, en ma”trisant nos peurs et nos violences mentales.
Pas facile !É
Juste
un apartŽ ˆ propos de la religion, qui intŽressera Žgalement le non-croyant.
L'exemple est directement applicable ˆ la fracture entre salariŽs et ch™meurs.
Le botaniste nous montre
l'extraordinaire intelligence des
plantes qui crŽent des nouvelles formes de rŽsistance ou d'antidote, en
adaptation aux difficultŽs de l'environnement. N'en est-il pas exactement de
mme pour les civilisations ? En effet on peut remarquer, depuis peu, le
dŽveloppement rapide de la philosophie bouddhiste en France. Comme un fait
exprs, notre pays, ainsi que l'AmŽrique par ailleurs, est particulirement
touchŽ par certaines formes de violences mentales : l'esprit de critique,
l'esprit de polŽmique, la contestation systŽmatique, le besoin de s'Žriger en
juge, la frŽnŽsie procŽdurire, l'immixtion dans les affaires des autres, la
volontŽ d'avoir raison, etc. Or une des bases fondamentales de cet enseignement
n'est-elle pas de commencer par cultiver la non-violence ?
La
volontŽ de pouvoir, de puissance et de domination, le dŽsir immodŽrŽ de
soumettre l'autre ˆ ses vues, la manipulation par la menace, la sanction, la
peurÉ, sont autant d'autres forme de violence, ayant la cupiditŽ et l'Žgo•sme
comme base. Qui peut souhaiter d'un monde pareil ? La civilisation du XXIe sicle ne serait-elle que cela ?É Qui en revanche n'aspire pas ˆ la
paix et ˆ l'harmonie dans les rapports humains, mme, ˆ l'extrme, au prix d'un
peu moins de biens matŽriels non essentiels ?
Nous
avons pu tre frappŽ par l'impact d'un esprit non-violent sur la qualitŽ du
travail. Souvenons-nous de la rŽflexion de M. Jean-Marie Cavada - qui Žtait sur
son lieu de travail, ne l'oublions pas - ˆ propos du sourire et des rires de sa
SaintetŽ le dala•-lama. Il disait en substance : vos rires sont trs
rafra”chissants ; il y a bien longtemps que nous ne nous Žtions pas sentis
aussi dŽtendus et aussi bien sur ce plateau ! Qui ne rve de travailler dans un tel climat !
L'esprit
de non-violence favorise cet Žtat. Il est cependant moins Žvident qu'il n'y
para”t de le faire rŽgner. Car au dŽbut, c'est dans un mince filet d'eau
claire de la pensŽe qu'il prend sa source
; et cette dernire peut tre facilement tarie, de bien des manire. Il est en
particulier des formes de bonnes intentions, trop empreintes d'affectivitŽ ou aux motifs erronŽs, qui
s'opposent ˆ la bonne volontŽ non-violente. Ces subtilitŽs nŽcessitent une
calme rŽflexion personnelle pour tre apprŽhendŽes efficacement.
Au-delˆ
d'un simple exercice religieux, la comprŽhension approfondie de la non-violence
peut nous aider dans les rapports au travail, et dans la vision que ch™meurs et
salariŽs peuvent avoir les uns des autres. L'indispensable agressivitŽ commerciale ne serait-elle pas plus efficace une fois
transmuŽe en prouesses chevaleresques
par exemple ? Voici une vieille image porteuse qui mŽriterait d'tre rŽexaminŽe avec l'innocence
d'un Ïil d'enfant. Ne parlait-on pas au
dŽbut du sicle de chevaliers d'industrie. Que sont-ils devenus ? Qu'est-ce qui a estompŽ nos idŽaux ?É
Une bataille de retard.
Les
mŽthodes expŽrimentŽes il y a plusieurs dŽcennies outre atlantique, puis
devenues obsoltes lˆ-bas, sont rŽexpŽrimentŽes, avec une bataille de retard, sur notre continent. Ces mŽthodes n'Žpargnent pas en
particulier le marketing politique. Avec les catastrophes que l'on conna”t. Par
exemple, lorsque des Žlus s'abaissent ˆ jouer les figurants - le plus souvent maladroits - de l'Žconomie, ils
trahissent leur vocation premire. Celle d'tre des guides pour les aspirations des peuples, au progrs dans la
multiplicitŽ de ses aspects. On ne mesure peut-tre pas assez l'impact du r™le
modŽlisant nŽgatif de ces contre-emplois
sur tous les autres acteurs sociaux.
Regardons
par exemple la mode du "co-marketing". C'est une mŽthode
promotionnelle o des produits identiques (ou les hommes d'une mme famille
politique) finissent toujours dans une lutte fratricide. De plus, cela cožte
deux fois plus cher aux financiers, pour rapporter bien moins qu'ils ne
l'espŽraient. Nous avons en mŽmoire les avatars d'un important directeur de
division d'une multinationale qui a dž dŽmissionner pour s'tre aventurŽ sur ce
terrain minŽ. La dŽmonstration de la non-rentabilitŽ de la mŽthode qui avait
conduit ˆ sa chute, n'avait nŽcessitŽ que deux simples pages de rapport !
Un
autre exemple, faisant plus de ravage qu'il n'y para”t au niveau de la
dŽmotivation des individus, est celui du patron-vendeur-numŽro-un-de-l'entreprise. Les inconvŽnients majeurs de ce dogme marketing sont : de
frustrer toute la hiŽrarchie en la rŽtrogradant d'un cran ; et de faire perdre
de vue l'horizon stratŽgique aux groupes d'individus dŽboussolŽs. Les patrons,
de plus, ne sont pas toujours les bons commerciaux qu'ils s'imaginent tre !
Car la proximitŽ du terrain leur fait fatalement dŽfaut au long cours. De
douloureuses remises en questions s'ensuivent inŽvitablement. Nous ne pouvons
rentrer dans les dŽtails techniques de ces mŽthodes qui dŽpassent notre sujet,
mais tous ceux qui en ont ŽtŽ tŽmoins de l'intŽrieur, ou mme sommairement ˆ la tŽlŽvision, pourront en vŽrifier
les avantages et les inconvŽnients, et s'ils en prennent le temps, en faire un bilan plus objectif que ce qu'on leur a vantŽ.
Ces
exemples peuvent nous apprendre au moins que les solutions expŽrimentŽes, plus
ou moins heureusement par d'autres, ne sont pas nŽcessairement la panacŽe ˆ nos
problmes. En gardant notre libre-arbitre, nous sommes ˆ mme d'exercer notre
propre gŽnie et de choisir ce qui est importable ou ne l'est pas. Et d'avoir
une bataille d'avance ; pour que le mange tourne rond ˆ nouveau.
RƒACTIONS EN CHAëNE.
Le ch™mage se dŽroule comme une rŽaction
en cha”ne. Au dŽpart le salariŽ rompt ses liens directs avec son supŽrieur pour
quelque raison que ce soit. Ou bien il est pris dans le licenciement collectif
d'un service ou d'un pan entier de l'entreprise, suite ˆ une restructuration,
un regroupement ou tout autre cause. S'il ne bŽnŽficie pas d'un reclassement
mžrement prŽparŽ, il alimente immŽdiatement l'armŽe des ch™meurs. Puis le poids
nŽgatif de ceux-ci dans l'Žconomie, par encha”nement, entra”ne la chute d'une
mosa•que de petites unitŽs socio-Žconomiques qu'on ne peut toutes citer, allant
des P.M.E aux professions indŽpendantes, des petits commerces aux travailleurs
agricoles, etc. Et finalement le manque de discernement qui a enclenchŽ le
processus d'assainissement sans savoir le ma”triser, trouve son propre butoir :
les ch™meurs. Ces derniers limitent les aviditŽs excessives initiales, en
asphyxiant l'Žconomie et en rendant l'Žgo•sme insupportable aux yeux de la
conscience publique, mme si celle-ci ne
discerne pas encore prŽcisŽment o il sŽvit. Il sera essentiel d'y apporter un
Žclairage plus prŽcis tout au long des chapitres suivants.
Renverser la vapeur ?
N'est-il
pas manichŽen de croire que le ch™mage dŽcoule exclusivement des dŽcisions ou
des comportements d'un seul groupe de dŽtenteurs de l'argent ? Le mŽcanisme
inverse, consistant ˆ faire changer de main le pouvoir de l'argent, peut
entra”ner exactement les mmes excs et conduire aux mmes consŽquences. Ce
changement de main se rŽalise par les dictatures ; ou bien
"dŽmocratiquement", par la mŽcanique fiscale. Il est
illustrŽ de manire spectaculaire par cette litote : "Les riches
payeront" ! Chacun peut essayer de
mesurer expŽrimentalement en lui-mme la rŽmanence plus ou moins consciente de
telles phrases, et comprendre ce qu'elles ont en commun avec les
conditionnements idŽologiques. Ne favorisent-elles pas les fractures, en
dressant les hommes les uns contre les autres ?
Arrtons-nous sur une anecdote
instructive ˆ ce propos.
Un
chef de service raconte. "Trouvant que l'Žquipe de commerciaux avait autre
chose ˆ faire que de perdre son temps dans un excs de paperasserie, nous
avions dŽcidŽ d'allŽger le dŽcompte administratif journalier de leurs frais de
route, au km prs, en leur proposant un forfait Žtabli sur la rŽalitŽ des dŽplacements
passŽs et habituels. Avec la possibilitŽ pour les deux parties de revenir ˆ la
pesante comptabilitŽ, au cas o elles s'estimeraient lŽsŽes. Une telle
amŽlioration des conditions de travail fut accueillie avec confiance et un
sentiment de soulagement. Tout marcha bien pendant quelques annŽes, jusqu'au
jour o la mme ‰pretŽ rencontrŽe dans certains milieux d'affaires, inspira mal
un responsable de l'administration fiscale, trop avide et vindicatif, qui
chercha ˆ ponctionner indžment une manne inespŽrŽe en jouant, avec une extrme
rigueur, des rglements. Il rŽclama un arriŽrŽ exorbitant, calculŽ
arbitrairement, plus les pŽnalitŽs de retard et une amende. Le mme Žgo•sme, ˆ
l'Ïuvre dans les affaires, empcha cet acteur administratif, en thŽorie au service
de ses concitoyens, de s'entendre de bonne foi, au nom de son idŽologie. Sa
hiŽrarchie mit la mme mauvaise volontŽ et il fallut en appeler au plus haut
niveau. Finalement, le systme tout puissant et aveugle, fit gr‰ce des
sanctions, mais imposa pour l'avenir un retour en arrire du mode de calcul, au
dŽtriment de l'efficacitŽ et de l'ŽquitŽ globale, du mieux tre de salariŽs. Et
sans rapporter un kopeck ˆ l'ƒtat."
Cet
exemple ne dŽbouche pas directement sur du ch™mage, mais il montre que les responsables
de la dŽgradation des conditions de travail peuvent tre de tous bords. Il renforce la conviction
qu'il n'y a pas les bons d'un c™tŽ et
les mauvais de l'autre. Le monde des
affaires n'est pas plus responsable que le monde administratif ou politique, du
ch™mage. Pas moins non plus. Mais c'est ce qui pousse chaque humain, dans le
travail quotidien, ˆ titre individuel et dans chaque corporation, qui a des
consŽquences, bonnes ou mauvaises. Si elles sont mauvaises, elles conduiront
par rŽaction, un jour inŽvitablement, au refus et ˆ la rŽsistance,
et aux blocages de toutes natures.
L'observation
nous amne, pour notre progrs, ˆ devoir sans cesse repenser nos attitudes
mentales et nos paroles. La mauvaise habitude de pensŽe nous fait trop souvent
dire : C'est son problme, pas le mien.
Nous comporterions-nous de cette manire en famille ? Progressivement nous en
viendrons peut-tre ˆ nous dire : Mon problme et le v™tre ne peuvent se
rŽsoudre harmonieusement que si nous jetons un pont entre nos antagonismes.
L'agent administratif citŽ ci-dessus a perdu
autant, sinon plus, sur le plan de
l'Žthique en particulier, mme s'il ne le sait pas encore, que les commerciaux
de cette entreprise. Et toute la cha”ne humaine, qui fait perdurer au-delˆ du nŽcessaire les rgles et les
lois qui conditionnent des comportements inhumains, et emprisonnent les bonnes
volontŽs, a Žgalement perdu au regard
de toute une Civilisation. Lorsque la perte sera ˆ son comble, quand nous comprendrons qu'en faisant
perdre ˆ l'autre c'est aussi nous-mme qui perdons, alors la conscience viendra
sans aucun doute. Que de souffrances en attendant seraient ŽvitŽes par le bon
sens !
Un
sens de l'unitŽ.
Revenons
aux ch™meurs. Mme si les parcours sont divers, ils sont tous comme enr™lŽs
dans la mme armŽe qui semble battre en retraite. PrivŽs de hiŽrarchie, ils se
ressentent comme des atomes de plus en plus perdus dans une masse anonyme. Le
mŽcanisme qui va les isoler ne fait que commencer, lorsqu'ils sont licenciŽs.
Il va dŽtruire leurs racines et dŽliter leur cohŽsion psychologique interne. Ou
bien les forcer ˆ un retour, impossible pour nombre d'entre eux, dans les rangs
d'une certaine bonne conformitŽ Žconomique, sans donner un sens pŽjoratif ˆ l'expression.
Dans
la rŽalitŽ, ils appartiennent ˆ UN seul et mme corps social : celui des
ch™meurs. Vouloir les classer en catŽgories est illusoire. S'ils peuvent s'en
rendre compte, leur sentiment d'isolement prendra fin. Nous reviendrons souvent
sur ce point essentiel.
Cette
description des encha”nements de cause ˆ effet, gŽnŽrateurs de ch™mage, peut appara”tre ˆ premire vue
trs globale.
Si l'on y regarde ˆ deux fois, sur
la pŽriode du quart de sicle qui vient de s'Žcouler, on peut cependant discerner cette trame simple des
causes qui appara”t en filigrane. Ce
dessin en demi-teinte permet ˆ chacun de situer, par comparaison, sa propre
expŽrience et de constater si elle va dans le sens du progrs ou de la
rŽgression. Seule une vision ˆ long terme permet de sortir des brouillards Žmis
par les masses de pensŽes pessimistes et inquites, les conclusions h‰tives
portŽes sur les situations critiques et complexes actuelles, rŽelles mais
temporaires, mme si ce temps semble long.
Cette
vision ne doit ˆ aucun moment perdre de vue le pouvoir du gŽnie humain ˆ vaincre le chaos engendrŽ par le dŽrglement des
Žchafaudages et des systmes secrŽtŽs par les pensŽes dŽsorientŽes. L'Histoire,
la Science en particulier sont rassurantes sur ce point, en apportant les
preuves tangibles qui chassent les miasmes des fausses idŽes sur l'apparent
dŽsordre Žconomique et l'illusoire reprise des affaires.
L'illusion collective de la toute puissance de
l'Žconomie.
La
rŽvolution industrielle, technologique, le dŽveloppement des moyens de communication
et d'information, la mondialisation et d'autre progrs de ce sicle ont mis
l'Žconomie sur le devant de la scne. Les thŽoriciens et les praticiens ont
cherchŽ ˆ comprendre et ˆ ma”triser ces flux matŽriels, dans toute la diversitŽ
des techniques. L'Homme n'a cependant pas toujours ŽtŽ bien intŽgrŽ dans cette
rŽflexion, du moins en ce qui concerne tout son tre. D'autres disciplines du Savoir ont palliŽ cette carence
; sans toutefois bien rŽussir ˆ s'intŽgrer ˆ la pensŽe Žconomique. RŽflŽchissons
ˆ quelques aspects courants de cette Žconomie qui sont reliŽs au ch™mage.
Peut-tre la simplification fera mieux discerner le paradoxe de cette toute
puissance illusoire de "l'Žconocratie".
Les vases communicants.
Par
quel biais cette illusion Žconomique se rŽpand-elle ? Il suffit d'Žcouter ˆ la
radio ou la tŽlŽvision. Nous entendons rŽgulirement des informations
semblables ˆ celles-ci :
"
L'Žconomie se porte de mieux en mieux. Le taux du ch™mage a encore
baissŽ pour le xime mois consŽcutif. Quelques dizaines de milliers d'emplois
nouveaux ont ainsi ŽtŽ crŽŽs. Les sociŽtŽs d'intŽrim commencent cependant ˆ
s'inquiŽter du ralentissement de
leur activitŽ et du ch™mage qui menace dans ce secteur. Ë la question
posŽe ˆ un reprŽsentant du travail intŽrimaire : Si ce n'est pas la
mauvaise santŽ de l'Žconomie qui
est responsable du ch™mage dans vos rangs, alors quelle en est la cause
? La rŽponse fuse : la responsabilitŽ en incombe sans doute ˆ une insuffisance
d'emplois qualifiŽs, rŽsultant elle-mme d'un dŽficit de formation".
(ƒtŽ 1999).
Ces
petites phrases, en apparence positives et encourageantes, ont un effet
proprement hypnotique. Les mots soulignŽs
attirent l'attention sur les effets illusoires ainsi projetŽs en quelques mots brefs. La pensŽe s'arrte
le plus souvent sur ces mots-Žcrans
et ne se rend pas suffisamment compte du paradoxe des vases communicants en
Žconomie.
Ici,
pourtant le rapprochement est visible :
le bŽnŽfice en emplois crŽŽs est
prŽsentŽ comme entra”nant un dŽficit dans un autre secteur Žconomique. Nous remarquons aussi l'alternance de l'espoir et de
l'inquiŽtude qui est soufflŽe par les mots. Il faut noter de plus cette double
tendance ˆ toujours chercher un responsable et ˆ l'attribuer ˆ une cause
extŽrieure, mŽcanique. Il est Žvident que ce sont les hommes qui sont
responsables, rŽpondra-t-on alors. Mais lˆ
encore, on ne va pas au fond des choses. En globalisant, tout le monde devient
responsable. C'est-ˆ-dire personne !
Si l'on
veut agir efficacement, ne faut-il pas comprendre ce qui ne va pas ˆ l'origine, lors de la prise de dŽcision ? Quel principe
de management est erronŽ ? Quelle attitude est nŽfaste ˆ l'emploi comme au
dŽveloppement de l'entreprise ? Afin de pouvoir agir avec un effet durable ; et
Žviter les correctifs qui fonctionnent selon le principe instable des vases
communicants. Il existe des milliers d'autres exemples comme celui-ci.
Pour
prendre une image, l'Žconomie pourrait tre vue comme un gigantesque rŽseau de
canaux reliŽs par des Žcluses qui rŽgulent les mouvements des marchandises et
des appŽtits. Ce sont les mobiles qui inspirent les Žclusiers au travail, qui
sont ˆ la source des dŽsŽquilibres, pas les canaux ni les Žcluses !
Parler des intentions des
individus ou des mŽcanismes Žconomiques peut sembler identique. Cependant les mesures appliquŽes dans un cas ou dans
l'autre ne donneront pas les mmes rŽsultats. On sait ce qu'il en est des solutions dites Žconomiques !
Il faudrait peut-tre essayer les autresÉ
Cette
analyse du conditionnement Žconomique
du monde contemporain est presque impossible ˆ comprendre au premier abord,
tant nous sommes plongŽs dedans. Elle est rarement portŽe ˆ la connaissance du
public. Elle a un poids Žnorme dans l'inconscient collectif, c'est-ˆ-dire dans
ce qui sous-tend notre culture, nos aspirations, dans cette pŽriode
intermŽdiaire entre deux Civilisations. Le citoyen se rend bien compte que
l'Žconomie est omniprŽsente, mais il ne se rend plus compte de ce que serait
son existence si tous les acteurs publics cessaient de parler - ˆ tort et ˆ
travers - d'Žconomie. Il ne se rend pas compte de la pression psychologique que
ces discours font peser sur sa pensŽe. Ë moins d'tre devenu un RŽsistant !É
Non pas un rŽactionnaire ou un passŽiste, attachŽ ˆ ce qui ne revivra plus.
Mais un individu conscient de la relativitŽ des cultures passŽes et prŽsentes,
qui ne veut pas se faire endoctriner par les unes ou les autre.
Un
bref retour historique peut nous rendre plus circonspects ˆ propos des causes
invoquŽes du ch™mage. Les historiens nous apprennent, par exemple, que suite ˆ
la crise de 1929, de nombreuses thŽories ont aussi ŽtŽ ŽlaborŽes pour expliquer
le dŽferlement des sans-emploi. La faute en avait ŽtŽ imputŽe en particulier au
machinisme, ˆ la dŽmographie, ˆ la surproduction, etc. Puis ces
rationalisations ont ŽtŽ dŽmenties quelque temps aprs ! Aujourd'hui personne
ne remet en question les "mauvais rŽsultats de l'Žconomie", la
"mondialisation comme causes premires au ch™mage". Mais cette certitude est-elle bien fondŽe ? La leon
de l'histoire ne devrait-elle pas nous inciter ˆ plus de prudence ?É Les
sociŽtŽs ne sont-elles pas enclines ˆ adopter trop rapidement des thŽories
comme vŽritŽs absolues ? Est-ce par facilitŽ ? Par besoin de se raccrocher ˆ
quelque chose de connu, et d'extŽrieur ˆ nos propres attitudes, c'est-ˆ-dire ˆ
dire de rassurant ? Est-ce parce que nous croyons aveuglŽment des experts, au lieu de chercher ˆ
comprendre ; ˆ accepter l'autoritŽ plut™t que de vŽrifier par nous-mmes ? Les experts sont utiles, en particulier si leurs
recherches sont proposŽes comme hypothses de travail, car notre monde moderne est extrmement compliquŽ et
chaque citoyen ne peut tre au courant de tout. Mais chacun doit pouvoir
exercer son sens critique et refuser ce qui lui appara”t comme une idŽe
dŽpassŽe ou bien fausse. Les idŽes assŽnŽes avec force, tambourinŽes en fond
sonore, ou susurrŽes comme des
Žvidences, par les uns ou les autres, ne
devraient-elles pas Žveiller notre vigilance et notre prudence ?
En ne prenant pas les effets (les difficultŽs
Žconomiques) pour les causes (l'Žgo•sme et la cupiditŽ), les solutions peuvent
alors tre plus judicieuses.
La
relativisation des actes politiques concernant l'Žconomie, lorsqu'ils seront
considŽrŽs comme de simples correctifs momentanŽs, Žvitera alors de se tromper
de politique et d'abuser l'opinion. Et d'accumuler les dŽceptions, qui peuvent
un jour dŽboucher sur des rŽvolutions.
Pour
garder espoir, n'oublions pas que ce qui a ŽtŽ dŽtruit, sur le fond (la
confiance, le climat de sŽrŽnitŽ dans les entreprises), par une froide volontŽ
cupide et Žgo•ste d'une minoritŽ d'acteurs socio-Žconomiques, peut-tre
reconstruit par la force bien supŽrieure de la bonne volontŽ d'une majoritŽ des
autres acteurs.
Une erreur marketing fatale.
Le lecteur qui penserait que cette sorte de mise en cause
de l'Žconomie est une absurditŽ, ou n'est pas rŽaliste, doit se rappeler la
propension des peuples ˆ imaginer des systmes et ˆ les b‰tir dans les faits ;
puis ˆ s'enfermer dedans et ˆ ne penser qu'ˆ travers ces nouvelles conceptions.
Il n'y a pas ˆ remonter bien loin dans l'histoire. Ë une Žpoque o l'on ne
parlait pas encore ˆ tout propos de l'Žconomie, mais o l'on ne jurait que par
la ligne Maginot, par exemple ! Ou plus
rŽcemment, lorsque l'ex-Union SoviŽtique en est revenu de certaines de ses
idŽes totalitaires qui l'avaient enfermŽe derrire ce rideau de fer virtuel.
L'Occident ne fait-il pas le mme
type d'erreur en ne considŽrant comme unique vŽritŽ que le Tout-Žconomique ? Ces exemples historiques ne devrait-ils pas tre
mŽditŽs, et un sens de la relativitŽ ne devrait-ils pas tre appliquŽ ˆ toute
forme de pensŽe monolithique ?
Selon
toute bonne dŽmarche marketing, la commercialisation ou la diffusion de produits
ou de services doit dŽbuter par une analyse des besoins, rationnels et
irrationnels, des consommateurs ; ou des
prescripteurs (comme par exemple, dans le cas d'un mŽdecin qui prescrit un
mŽdicament ˆ un patient-client-consommateur). Dans le cas qui nous occupe, le
service en question est : l'offre de solutions au ch™mage, par la crŽation d'emplois.
Cette offre concerne au premier
chef les ch™meurs. Ce sont eux les demandeurs ou consommateurs. Or, si le
pouvoir politique a pris en compte les besoins des crŽateurs d'emplois, qui
sont beaucoup plus assimilables ˆ des prescripteurs, et accessoirement ceux des
syndicats reprŽsentant les intŽrts des salariŽs qui sont concernŽs, en
revanche les besoins des ch™meurs sont analysŽs de manire nettement insuffisante
!
Bien
sžr, tous les responsables nous disent qu'ils Žcoutent les ch™meurs. Mais il
appara”t que les besoins ne sont pas dŽcodŽs de manire correcte, comme nous le
verrons trs en dŽtail dans les chapitres suivants. Ou du moins ils sont jugŽs secondaires, et ds lors ils sont relŽguŽs ad vitam
¾ternam dans les dossiers en attente. Ces
besoins des ch™meurs sont amalgamŽs ˆ ceux des salariŽs dont la
particularitŽ est de ne pas avoir ŽtŽ ch™meur dans la plus grande majoritŽ des
cas. L'offre ne distingue donc pas la spŽcificitŽ propre ˆ la condition de
ch™mage et ses rŽpercussions sur les nouveaux besoins concernant le futur
emploi. Sinon peut-tre au niveau d'une formation professionnelle
complŽmentaire et d'un trop vague concept "d'aide ˆ la rŽinsertion".
C'est-ˆ-dire
que les ch™meurs sont considŽrŽs comme ils l'Žtaient il y a un quart de sicle,
lorsque l'effet du ch™mage gŽnŽralisŽ
n'avait pas encore modifiŽ les attitudes des individus. Nous verrons dans la
deuxime partie en quoi cet effet du ch™mage gŽnŽralisŽ a modifiŽ plus
prŽcisŽment les besoins. Si nous prenons un parallle mŽdical, le marketing
d'un mŽdicament qui ne tiendrait compte que des besoins des mŽdecins (qui, sans
entrer dans les dŽtails complexes, ne sont pas de mme nature que les besoins des patients), en ignorant par exemple la
difficultŽ d'une personne ‰gŽe d'absorber certaines formes galŽniques non
adaptŽes, handicaperait sŽrieusement le dŽveloppement commercial dudit
mŽdicament. Il en est de mme pour les ch™meurs et les dites
"solutions" au ch™mage.
Pour
illustrer ce propos d'un point de vue moins technique, nous pouvons regarder
certains exemples qui seront peut-tre plus parlants. Le rapide survol
d'Internet permet de se rendre compte de ce paradoxe existant entre les analyses
concernant le ch™mage et la raretŽ des
rŽfŽrences au "ch™meur", dans
les titres donnŽs en bibliographie.[1]
Ceci traduit bien le fait qu'il est en question, mais qu'il n'est pas concernŽ
ni au centre des dŽbats, ou qu'il en est carrŽment exclu. Soit que les auteurs
ne veulent pas utiliser ce terme car ils le considrent comme rŽpulsif, peu
"accrocheur", trop rebattu ; ou qu'il soit en lui-mme associŽ ˆ un
Žchec.
Les
Žmissions en 1999 sur les 35 heures sont Žgalement significatives ˆ cet Žgard.
Il y a eu un dŽbat relativement technique et parfois confus pour le simple
citoyen, entre deux camps politico-Žconomiques. Et subsidiairement, des
salariŽs ont ŽtŽ interviewŽs pour savoir comment ils utiliseront ce temps
libre. Mais quant ˆ savoir comment les ch™meurs ont peru ce grand enjeu de
sociŽtŽ et ce qu'ils pensent du comportement des dŽtenteurs de pouvoir : ils
n'ont pas ŽtŽ consultŽs ! Ils auraient pu permettre d'Žlever le dŽbat, (au mme
titre que les syndicats ont tentŽ de le faire lors de ces Žchanges). Non pour
rŽgler des problmes techniques parfois compliquŽs, mais pour relativiser les
peurs et les positions idŽologiques des uns et des autres. Mais les ch™meurs
peroivent certainement que ce dŽbat sur les 35 heures ne concerne peut-tre
pas directement la crŽation d'emploi. Nous reviendrons sur ce sujet dans la
deuxime partie.
Le
troisime exemple est pris au cÏur de l'organisme en charge de l'emploi,
l'Anpe. Les enqutes rŽalisŽes ces dernires annŽes auprs des ch™meurs de
longue durŽe, en particulier lors de rŽunions de groupe, font bien remonter un
certain nombre d'ŽlŽments superficiels (par exemple la manire d'occuper son
temps, ou les rŽactions d'employeurs Žventuels). Mais, d'une part, la manire
de faire introduit de nombreuses rŽsistances, facilement constatables par les
rŽactions des individus sondŽs (par exemple lorsqu'on touche de trop prs ˆ la
vie privŽe, ou ˆ l'Žtat de santŽ). D'autre part, il n'y a pas d'Žchange (mais
seulement des consignes), ni au moment des enqutes, ni par un retour
d'information (il n'y a pas de rŽunion ultŽrieure pour faire part des
rŽsultats). Or c'est cet Žchange qui permettrait non seulement de valider ces
enqutes, mais surtout de faire appara”tre des besoins non exprimŽs, mais
pourtant fondamentaux. Sans parler du changement positif de climat que cela produirait.
Nous
sommes passŽs vite sur cette erreur fatale de marketing car elle fait appel ˆ l'expŽrience de professionnels pour
tre parfaitement comprise dans ses retentissements. Les politiques et les fonctionnaires
ne sont pas issus de ces rangs-lˆ. Les chefs d'entreprise les comprennent, mais
il y a sans doute trop de conflits d'intŽrt conceptuel pour qu'ils en soient
les dŽfenseurs. Seuls les ch™meurs qui sont dans le bain savent intuitivement.
Des spŽcialistes, privŽs ou publics, bien sžr, ont conscience de ces besoins.
Mais tant que les mŽthodes gŽnŽrales des enqutes biaiseront sur les besoins profonds des ch™meurs pour n'envisager que
le seul besoin d'emploi, cette connaissance restera confidentielle et de peu
d'effet.
Ce que
chacun peut observer finalement est cette rare prŽsence, sinon cette
quasi-absence du dŽbat, des principaux intŽressŽs !
***
RENAëTRE, RƒCONCILIƒ.
L |
e licenciement d'une entreprise
marque la fin d'une partie de la vie du salariŽ. Il se dŽroule comme tout
processus d'abandon. Il doit, en thŽorie, dŽboucher sur une vŽritable
renaissance professionnelle et humaine. Mais le ch™mage n'est plus une phase
ŽphŽmre, comme en pŽriode de plein emploi. La situation n'est pas bŽnigne
comme en ces temps que ceux qui n'avaient pas l'age de raison il y a un quart
de sicle, n'ont jamais connus. Elle laisse des sŽquelles. Il y a bien des
moyens cependant de les guŽrir.
Une fidŽlitŽ conditionnŽe ˆ
l'entreprise.
Chacun
a certainement encore en mŽmoire cette courte histoire assez rŽcente, d'une
femme qui, aprs des dŽcennies de fidŽlitŽ ˆ son entreprise, fut reconduite en
taxi ˆ l'issue de l'entretien de licenciement. On ne se rappelle pas
grand-chose des reportages succincts qui ont fusŽ rapidement, sinon sa stupeur,
le choc qu'elle ressentit, son immense incomprŽhension et le sentiment
d'injustice de ce qui lui arrivait. Personne n'a compris le comportement de
celui qui avait pris cette dŽcision. Ses explications laconiques se sont perdues
comme l'eau dans les sables du dŽsert.
L'avatar de cette femme a-t-il ŽtŽ
inutile pour la collectivitŽ ? Son drame a marquŽ les mŽmoires de manire
indŽlŽbile, mais son travail a-t-il ŽtŽ
compris ? Pouvons-nous essayer de voir, avec le recul du temps, le sens profond
qui a bien pu s'inscrire dans notre conscience ? Sens qui n'a jamais ŽtŽ
explicitŽ.
Mettons de c™tŽ les agissements
anormaux Žventuels d'un dŽcideur isolŽ. N'Žprouvons-nous pas ˆ l'Žvocation de
cette histoire un sentiment d'injustice ˆ l'Žgard d'une entreprise qui n'a pas
reconnu les bons et loyaux services d'un de ses membres ? Ce n'est pas la
qualitŽ et le sŽrieux du travail de cette salariŽe qui Žtaient mis en cause ;
seule la raison Žconomique semblait
prŽvaloir dans la dŽcision de licenciement. La manire n'y Žtait pas,
cependant. Et notre rŽaction est de nous dire : ˆ quoi bon cette fidŽlitŽ ˆ
l'entreprise, si c'est pour en arriver lˆ ?
C'est peut-tre bien ce sens profond d'une
fidŽlitŽ conditionnŽe, sur commande qui est en train de muter. C'est
pourquoi on peut dire qu'il y eut un travail social utile, de la part de cette salariŽe. Il existe bien
d'autres cas semblables. RŽflŽchissons ˆ sa signification.
N'y
a-t-il pas une identification trop forte ˆ l'image d'une entreprise, et qui est en dŽphasage avec
l'accŽlŽration des technologies et les mutations Žconomiques ? Expliquons ce
point : un jeune sait de plus en plus qu'il ne fera pas toute sa carrire dans
une mme entreprise. Ce qui Žtait normal autrefois et, dit-on, encore normal dans
d'autres cultures comme le japon, ne l'est plus dans nos sociŽtŽs occidentales.
De ce fait, plus il colle ˆ son r™le,
plus dur il lui sera d'enlever le costume
lorsqu'il sera obligŽ de changer de metteur en scne et de thމtre Žconomique ! Nous ne sommes pas habituŽs ˆ penser de cette manire, mais
le bon sens devrait nous y conduire.
Alors,
qu'en est-il du travail ? La t‰che que l'on entreprend est-elle remise en
question ? La motivation des salariŽs est-elle menacŽe ? Certainement pas.
Au contraire, libŽrŽs de faux attachements ˆ des situations temporaires, ˆ
des positions honorifiques illusoires, ne
sommes-nous pas plus libres pour accomplir consciencieusement notre t‰che
journalire ? L'ambition est naturelle, les honneurs parfois mŽritŽs, et c'est
un moteur du progrs interne d'une entreprise. Mais ˆ c™tŽ de cela, lorsque l'identification
au r™le que nous jouons devient trop
forte, au point de ne plus laisser une place Žquitable aux autres acteurs,
ainsi qu'ˆ nos autres activitŽs nŽcessaires ˆ une vie Žpanouissante, l'anticorps appara”t. Tous ces salariŽs, jeunes mais aussi moins
jeunes, qui ne rŽpondent plus aux rgles habituelles de motivation
constituent une preuve Žvidente de cette rŽvolution des mÏurs de l'entreprise.
En revanche, l'emprise des chefs lorsqu'elle n'est pas bien fondŽe est mise en
cause par cette desidentification. D'o d'ailleurs l'amplification du recours ˆ
la force dans les rapports humains. Tout pouvoir mourrant gŽnre ses
intŽgristes !
Bien
sžr, la nŽcessitŽ de subsister ralentit en partie la mutation. Heureusement,
sinon il y aurait une transformation explosive de la sociŽtŽ.
De tels
exemples nous rappellent de rester attentifs aux tentatives savamment
orchestrŽes par les manipulateurs de la conscience collective, et leurs complices involontaires qui les imitent. Leurs
techniques, qui peuvent avoir sous certains aspects leur bien-fondŽ, sont le
plus souvent pernicieuses. Par exemple les techniques des "Credos"
(c'est-ˆ-dire la formalisation Žcrite des buts, rgles morales et aspiration
d'une entreprise) et autres "Grand-messes" internes (les conventions,
rŽunions nationalesÉ), lorsque ceux-ci
ne visent plus seulement la qualitŽ des produits et des services rendus aux
consommateurs, mais commence ˆ s'immiscer dans nos ‰mes, pour nous
conditionner.
Si
l'exemple de cette femme, confirmŽ par notre propre expŽrience, peut nous
inspirer une plus juste mesure de notre fidŽlitŽ ˆ une entreprise, fondŽe d'abord sur la conscience
professionnelle, et une plus grande distance par rapport au cocon paternel ou maternel que l'entreprise veut incarner, alors son travail
exploratoire a servi la collectivitŽ. Sans
cette vŽrification personnelle, les analyses des mŽcanismes d'entreprise qui
commencent ˆ tre connus du public, gr‰ce en particulier ˆ des Žmissions
tŽlŽvisŽes pertinentes, garderaient un aspect d'irrŽalitŽ et de jeu
informatique. IrrŽalitŽ que nous avons tous pu mesurer, dans un autre domaine,
par exemple de la tempte du dŽsert
lors de la guerre avec l'Irak.
L'acte guerrier subi par cette salariŽe a sans aucun doute participŽ ˆ
entamer le concept d'attachement inconditionnel ˆ l'entreprise. Celui qui
croyait tre vainqueur a de ce fait perdu ! Il appartient ˆ toute la
Civilisation de transformer de tels essais.
Le nÏud se tranche de mille et une
manires.
Ce
moment de sŽparation, lors d'un licenciement, quelles que soient ses modalitŽs,
restera toujours une sorte de mort symbolique impliquant
tout notre tre. Pouvons-nous mieux nous y prŽparer ? Lˆ encore, nos habitudes,
nos coutumes, nos lois, ne nous prŽparent pas ˆ cette rupture. Parfois mme,
elles s'y opposent, rendant alors nos difficultŽs plus intenses.
Qu'il
s'agisse d'un licenciement collectif ou individuel, pour faute ou non ; que le lien soit tranchŽ brutalement, ˆ vif, ou
bien progressivement usŽ ; que les rŽsistances procŽdurires se manifestent ;
que le pourrissement de la situation soit employŽ ; que les artifices
favorisant un dŽpart sans heurts soient savamment calculŽs ; que les plus
habiles ou les plus fort sachent nŽgocier chrement leur dŽpartÉ la
procŽdure de licenciement est prŽfŽrŽe, voir conseillŽe, ˆ la dŽmission, dans la conjoncture actuelle. Est-ce bien normal ? La
sŽparation vŽritablement ˆ l'amiable n'est
plus gure possible. Tout cela, sans doute parce que ce petit terrain des
opŽrations est aussi celui de la GUERRE
ƒCONOMIQUE, dont les lois et les rgles se sont insinuŽes indžment dans tous
les domaines de l'entreprise, de la politique et de la sociŽtŽ. Les hommes ont
voulu la guerre et la guerre fait rage de toutes parts. Mme les bonnes
intentions s'en mlent !
Il
reste toujours cependant le choix entre : retraite, capitulation, armistice ou
Paix vŽritable.
Comment parvenir ˆ une conclusion
honorable lors de cette guerre Žclair du
licenciement ? Sans une volontŽ des deux parties, cela est alŽatoire. Et comme
de plus la peur, le dŽsir de gagner, l'orgueil et d'autres instincts sont tapis
dans l'ombre, mme les plus aguerris ont ˆ se battre sur tous les fronts. Et
tous succombent dans une dŽfaite commune.
Le "salaire de la peur".
RŽfŽrencŽ
au salaire, le prix de la sŽparation et du prŽjudice, sera toujours peru comme
injuste et insuffisant par les uns ; injuste et bien suffisant ou bien trop
ŽlevŽ, par les autres. De mme que les salaires comportent un minimum
Žquitable, mais une part affective supplŽmentaire impossible ˆ codifier en
dehors d'une relation de rŽciprocitŽ entre le salariŽ et son supŽrieur, de
mme la codification par la loi des indemnitŽs de licenciement ne peut que
laisser un gožt amer au licenciŽ. Et parfois mme au congŽdieur !
Il est
heureux que la loi ait rŽussi ˆ endiguer les vellŽitŽs des pratiques sauvages
de licenciement sans indemnitŽ ni prŽavis.
Il est
malheureux que les montants soient toujours en deˆ d'un effet de baume sur la blessure. Ë force de codification, le cadeau de
rupture Žvite le pire, mais ne rŽpare pas
grand-chose, sauf exception.
Le
sujet est extrmement complexe par ses imbrications juridiques, Žconomiques,
syndicales, mais surtout psychologiques. La solution ne pourra venir qu'en
Žvacuant d'abord toutes les peurs qui se rattachent ˆ cette question. Peur de
cette situation inconnue qui tombe sur la tte, peur d'tre le dindon de la farce, mais aussi peur d'avoir les syndicats, les prud'hommes,
l'inspection du travail, etc. sur le dos.
En fait, l'opprobre rŽsultant de cette rupture, non pas d'un simple contrat de
travail en papier, mais d'un engagement humain o la confiance est mise ˆ mal,
est la pierre d'achoppement. Si la question pouvait tre rŽglŽe les yeux dans
les yeux, en accord profond, sans tŽmoins physique ou virtuel (la ribambelle d'agents administratifs qui veulent tous
s'en mler, et dont nous reparlerons) n'y aurait-il pas plus de chances de conciliation
?
Un thމtre d'ombres chinoises, aux
effets pervers.
Ë la
base, une idŽe fausse nous illusionne : nous avons confondu sŽcuritŽ de
l'emploi et sŽcuritŽ dans un mme
emploi. Le monde changeant ne nous assure
pas de rester toujours dans la mme entreprise. Pas plus qu'un cavalier ne peut
espŽrer caracoler sur sa monture sans jamais se faire dŽsaronner. De lˆ sont
peut-tre nŽes les rigiditŽs de nos pensŽes, des idŽologies, des lois.
"C'est Žvident, diront
certains ; nous sommes bien convaincus de cela" ! Mais alors,
pourquoi les faits ne sont-ils pas en accord avec cette Žvidence ? Est-il si
difficile d'abroger une loi ? Est-il impossible de donner le pouvoir rŽel ˆ des
conciliateurs, sans les obliger ˆ
demeurer pieds et poings liŽs aux rglements que les deux parties rejettent
pourtant ?
Ne
devrait-on pas prŽfŽrer la sŽcuritŽ de pouvoir changer d'une entreprise ˆ l'autre, d'un mŽtier ˆ un autre,
progressivement d'un travail alimentaire ˆ une aspiration, d'un pays ˆ un
autre, d'une activitŽ Žconomique ˆ une passion ludique, d'une pŽriode d'Žtude ˆ
un travail associatif ? De fait, les changements de tous ordres sont pour
certains la rgle. Mais malheureusement, pas pour le plus grand nombre ; et
toujours avec bien des difficultŽs inutiles.
Les
diverses moutures des procŽdures de licenciement ne sont jamais parvenues ˆ Žviter le jeu des
faux-semblants et des contournements. Et n'y parviendront sans doute
jamais ! Ceux qui sont passŽs par lˆ s'en sont rendu compte. Le formalisme
de la dŽmarche a sans doute ŽvitŽ dans certains cas de perdre la face ; mais a-t-il ŽvitŽ les blessures du cÏur ? Les salariŽs
qui ont jouŽ des erreurs de procŽdure, ont-il gagnŽ une quelconque
rŽhabilitation en leur for intŽrieur ? Et mme les plus pervers, en cherchant
par exemple ˆ monter d'autres salariŽs contre le patron, ont-t-il gagnŽ
vŽritablement ce qu'il dŽsiraient ? Il est inutile de trop remuer ce sujet que
chacun souhaite oublier, s'il l'a vŽcu.
De
l'autre c™tŽ, celui des employeurs, ces mesures ont ŽtŽ qualifiŽes de rigides
et d'inefficaces. Que sont-elles en vŽritŽ ? L'Žtat d'esprit qui prŽside ˆ une embauche ne doit-il pas
tre exempt de risque ˆ parts Žgales
pour le salariŽ et l'entrepreneur et fondŽ d'abord sur un acte de confiance
rŽciproque ?
Qui ne se rappelle parfaitement la
chape psychologique qui est tombŽe sur
les Žpaules des employeurs, chaque fois que les contraintes pour licencier se
sont alourdies, et le gel des dynamiques de recrutements qui en a dŽcoulŽ dans
bien des domaines ? Qui ne se rappelle les pŽriodes d'essai de 6 mois, 9 mois
(en infraction avec la loi par ailleurs), jamais parfaitement
"digŽrŽes" par le salariŽ, que des employeurs leur faisaient signer
par crainte (irrationnelle) de ne pouvoir s'en sŽparer au cas o a ne marcherait
pas ?
Nous
pourrions passer en revue les diffŽrentes modalitŽs des contrats de travail
(contrat ˆ durŽe dŽterminŽe, contrats prŽcaires, emplois sans contrat
spŽcifique, contrat de travail intŽrimaire, d'intermittents du spectacle,
contrat d'insertion, contrat d'apprentissage, etcÉ). Nous pourrions analyser la
dŽtermination de codifier les rapports humains, selon les divers angles des :
patrons, pouvoirs publics, syndicats, salariŽs ; et leurs parades encore plus
nombreuses. Nous pourrions aussi dŽcrire un point de vue particulier du
salariŽ, moins pris en compte parce que peut-tre trop marginal, qui ne cherche
pas ˆ s'engager de manire durable, et prŽfre sa libertŽ ˆ une sŽcuritŽ sous
conditions. Nous ne verrions dans tout cela qu'une complexification qui
n'Žpargne pas les arrire-pensŽs : recherche d'un avantage sans partage
Žquitable ; diminution unilatŽrale des risques ; volontŽ dogmatique et
dirigisteÉ
La
loi en se rigidifiant a Žgalement rigidifiŽ les rapports humains. Parce que la
peur qu'elle introduit provoque une contraction dŽfensive de tout l'tre.
Ce
frein aux licenciements abusifs peut ainsi devenir l'obstacle qui se retourne
contre le salariŽ ; ce n'est cependant pas le seul dont il va Žprouver
l'injustice. De plus, la protection est illusoire. Mme un reprŽsentant
syndical n'est pas protŽgŽ dans certains cas, si les instances adŽquates
dŽtenant le pouvoir suprme sont mises en branle.
Ë
l'inverse, que se passerait-il si l'on pensait plus les mesures de protection
des salariŽs en termes de facilitation pour retrouver un emploi et de vŽritable
sŽcuritŽ financire intermŽdiaire, plut™t que de frein au dŽpart ?
Si les salariŽs eux-mmes amorcent
cette mutation, la sociŽtŽ tout entire s'en trouvera crŽditŽe. S'ils se
cramponnent ˆ des idŽes surannŽes, ˆ des fausses sŽcuritŽs, et se privent
d'autres expŽriences enrichissantes, il faudra plus de temps !
Un grand poids en moins.
Le
licenciement est une dure Žpreuve pour le salariŽ, mais aussi pour l'exŽcuteur
des basses Ïuvres. Gardons toujours ˆ
l'esprit que dans une bataille, il y a deux individus qui se battent pour des
valeurs opposŽes et que seules ces valeurs relatives sont en cause. Pas les
individus qui jouent leur r™le, comme des acteurs de thމtre jouent le leur.
Paradoxalement, bien des nouveaux
ch™meurs Žprouvent un soulagement indŽfinissable. Certains s'en cachent. Certains ne veulent mme pas se
l'avouer. D'autres en parlent plus ou moins librement.
Ce ch™meur rŽsume la rŽalitŽ d'un vŽcu assez frŽquent :
"En
rentrant chez moi, le jour o j'ai ŽtŽ licenciŽ, j'avais l'impression d'tre
enfin en vacances. Ce grand poids que j'avais sur les Žpaules depuis des mois
s'Žtait compltement volatilisŽ ".
Mais cela ne se passe pas toujours aussi bien. L'un d'eux
explique :
"En
sortant du bureau du chef du personnel, j'Žtais si bouleversŽ que je suis tombŽ
dans l'escalier, d'Žmotion. ‚a a fait un beau barouf dans l'entreprise.
L'inspecteur du travail s'en est mme mlŽ."
Ce grand
poids en moinsÉ de quoi est-il constituŽ ?
Quel Žclairage personnel le ch™meur en donne-t-il ? Quelles sont les anciennes valeurs
du travail, des produits ou des services, du salaire, des horaires, de
l'atmosphre humaine, de la finance, de l'ŽconomieÉ qui ont ŽtŽ mises en
question ? Chacun peut faire son propre bilan et comprendre en quoi ce
poids Žtait trop lourd pour ses Žpaules. De cette analyse ressortira
Žgalement une relativisation de l'Žchec apparent. Mais elle ne permet peut-tre
pas encore de comprendre suffisamment en quoi le dŽpart a ŽtŽ utile.
Un calme olympien.
Il en
est qui se rattachent encore un moment au passŽ, nient l'Žvidence de la
rupture, entament une autre guerre, cherchent ˆ marchander, s'abandonnent au
chagrin et ˆ la tristesse. Mais viendra un moment o le deuil sera consommŽ et
o la libŽration de ce qui ne peut plus tre, se fera. Chacun sait cela, mme
s'il n'a pas vŽcu un licenciement.
Cette
mort symbolique peut tre vŽcue plus ou moins rapidement selon que l'individu pourra
faire preuve d'imagination pour s'accrocher ˆ un nouvel idŽal, et pour
positiver ce qui devrait tre considŽrŽ comme une mue naturelle et non comme un Žchec. Chacun visualise l'idŽal qui lui est
propre et qui peut lui faire passer le cap.
Pour
les uns c'est la certitude d'un progrs professionnel, fondŽ sur l'expŽrience,
qui les soutient :
"
Lorsque j'ai ŽtŽ remerciŽ la deuxime fois, j'ai vraiment eu le sentiment
d'tre libre et de partir vers de nouvelles aventures passionnantes. J'avais pu
constater aprs mon premier emploi, que ma nouvelle situation Žtait en progrs.
Mis ˆ part la dernire annŽe, les huit prŽcŽdentes avaient ŽtŽ bien remplies.
Maintenant je quitte ma troisime entreprise, je dois dire, Žgalement avec
soulagement. J'ai bien cru que j'y laisserais ma peau, tellement le contexte
avait ŽtŽ pourri par les racheteurs Žtrangers. L'atmosphre Žtait irrespirable.
Maintenant je sais ce que je veux et o est mon avenir, et certainement pas
pour retrouver ce type de contraintesÉ"
Pour
d'autres ce sera une image mentale.
Comme les artistes y font appel, par exemple lorsqu'ils utilisent la puissance
de l'imagination crŽatrice. Ce ch™meur nous confie sa propre recette :
"Quand
a m'est tombŽ sur la tte, sans prŽvenir, je venais de voir un film, je crois
que c'Žtait Excalibur. Et je ne sais pas pourquoi, j'ai imaginŽ que je me
prŽparais, en armure, pour le combat. Que j'Žtais invincible. Cette image s'est
imposŽe ˆ moi spontanŽment. Elle m'a procurŽ une grande sŽrŽnitŽ. ‚a m'a
empchŽ de cogiter ˆ tout ce qui allait m'arriver de dŽsagrŽable et a m'a
permis de rester serein pendant tout l'entretien de licenciement. J'ai dit
juste ce qu'il fallait, comme il fallait, pour ne pas envenimer les choses. Je
me suis aperu que mon patron Žtait bien plus mal ˆ l'aise que moi. Mon calme,
sans agressivitŽ, le dŽstabilisait compltement, bien que je n'aie pas cherchŽ
ˆ le faire. Et puis, il s'est dŽtendu ; on a pu parler. Il m'a mme rŽdigŽ une
lettre de rŽfŽrence, contrairement ˆ toute logique juridique, car alors, si
j'avais ŽtŽ animŽ d'un dŽsir de vengeance, elle se serait retournŽe contre lui.
Mais a n'a pas ŽtŽ le cas."
De tels
exemples ne sont sans doute pas les plus frŽquents, mais ils contiennent
certainement une rŽponse utile pour mieux vivre ce passage difficile. Mme si
cette attitude d'esprit n'est pas la n™tre au moment de l'accident, il n'est peut-tre pas inutile d'y repenser en des termes
similaires. Un peu comme un plongeur qui n'a pas respectŽ les paliers de dŽcompression
replonge et remonte lentement, Žtape par Žtape. C'est un moyen sžr de se
dŽbarrasser de l'humiliation.
En attente de la sociŽtŽ nouvelle.
Puis le
temps passe. En discutant avec les personnes qui ont ŽtŽ ŽvincŽes depuis
quelque mois, on mesure au travers de l'agitation des mots, qui virevoltent et
semblent se tŽlescoper comme une envolŽe de papillons, tout le contenu affectif
qui n'est pas encore compensŽ et l'effort intellectuel pour retrouver un
Žquilibre intŽrieur perdu. En voici un bref Žchantillon :
"
Cette fois, je suis parti la tte haute, pas comme la dernire fois quand j'ai
fui la queue entre les jambes. Je leur ai tenu la dragŽe haute et j'ai eu droit
ˆ tous les honneurs lors de mon dŽpart. Mais tout le monde considre quand mme
mon dŽpart comme un Žchec ; les gens ne se privent pas de me le dire. Je me
rends bien compte qu'on n'avait plus besoin de mes services et qu'on ne voulait
plus de moi. Ils ont remis ˆ ma place un plus jeune qu'ils vont pouvoir tenir
plus facilementÉ"
On
notera cette dernire phrase qui revient trs souvent dans les discussions avec
des ch™meurs d'un certain niveau de responsabilitŽ. La volontŽ de dominer dans
les entreprises et les organisations, par la mise en place de pions, semble tre une constante des stratŽgies actuelles. Bien
plus que la recherche d'un sage savoir-faire et d'une longue expŽrience
humaine. Les entreprises s'apercevront ˆ la longue qu'elles appauvrissent la
crŽativitŽ, car elle reposera de plus en plus sur une oligarchie vieillissante
et un clonage de jeunes loups. Elles
finiront par voir qu'elles paralysent les dynamismes internes, qu'elles
diminuent les potentiels Žconomiques ou du moins les ralentissent. Notons qu'il
n'est pas question des entreprises qui ont trouvŽ leur finalitŽ vraie, et pratiquent une politique de gestion du personnel
tournŽe vers l'avenir.
Le
ch™meur reste encore en attente de la Civilisation en gestation, et son temps
d'arrt n'est pas inutile. S'il peut d'abord se rendre compte objectivement de
cette aspiration, puis s'en persuader fermement, il y trouvera sans doute plus
de calme intŽrieur. Cela n'est pas
impossible, car intuitivement, bien des ch™meurs, et parfois parmi les plus
dŽshŽritŽs, ont rŽussi ce rŽtablissement en puisant dans leurs forces
intŽrieures. Une aide est nŽcessaire, mais pas n'importe comment. Nous y
reviendrons dans la deuxime partie.
Le cas non particulier des
fonctionnaires.
Bien
des gens s'imaginent encore que les fonctionnaires ne connaissent pas le
ch™mage gr‰ce ˆ la garantie de l'emploi
dans le secteur public. Mme si le ch™mage y est rare et ne concerne pas toutes
les catŽgories, des circonstances - sur lesquelles nous ne nous Žtendrons pas -
peuvent le faire appara”tre. Il ne porte pas ce nom, mais il est vŽcu nŽanmoins de la mme manire et rŽsulte
des mmes causes : de volontŽ de puissance, de cupiditŽ, et de conflits
d'intŽrt. Pour ceux qui ont rencontrŽ ces grands commis de l'ƒtat ˆ la
dŽrive, en "affectation
provisoire", effarŽs par le g‰chis de leurs compŽtences, culpabilisŽs par
le cožt apparemment inutile qu'ils reprŽsentent pour les contribuables,
impuissants ˆ percer la carapace d'Žgo•sme des dŽcideurs en place et qui les
rejettent sans autre forme de procs dans l'oubli, ce ch™mage-lˆ prend une
dimension tout autre qu'un simple dŽsŽquilibre Žconomique !É C'est
tout l'ƒtat qui est en cause ! C'est l'ƒlectorat entier qui est concernŽ !
Incontestablement,
la force qui anime les ch™meurs est
partout ˆ l'Ïuvre dans la sociŽtŽ !
Le sens omniprŽsent de l'Žchec.
Le
licenciement pose le problme d'un sentiment permanent d'Žchec. Mais qui a
fondamentalement ŽchouŽ ?É Celui qui a perdu son emploi, parce qu'il croyait en
certaines valeurs, et en premier lieu parce qu'il faisait confiance ˆ ses
supŽrieurs pour prŽvoir l'avenir et anticiper les mesures nŽcessaires ˆ prendre
?É Ou cette hiŽrarchie perdue dans le maelstršm des ambitions contre-nature ?
ÉOu ces idŽologues qui ont voulu imposer des solutions artificielles de toutes
natures ? Ë moins que personne n'ai perdu au regard de l'Histoire !É
La peur
de l'Žchec est humaine. Mais l'Žchec n'est pas vu assez objectivement dans
notre civilisation franaise : comme une opportunitŽ qui n'a pas encore pu tre
saisie, un moyen d'apprentissage, une chance de progrs. Au mme titre que
les Žbauches successives d'un sculpteur ou d'un peintre le conduisent un peu
plus vers la perfection de son art. C'est
lˆ uniquement une question de culture, et non d'autosuggestion.
Tout
concourt encore ˆ faire considŽrer "l'emploi immuable" comme le
critre absolu de rŽussite. Cela peut tre le cas pour certains,
indiscutablement.
De
plus, le sens de la compŽtition, exacerbŽe de nos jours, rend l'Žchec encore
plus criant. Mais la compŽtition commerciale, aujourd'hui cruellement avivŽe,
mutera Žgalement pour un sens plus juste des valeurs Žconomiques. Le bon sens
nous le souffle, tandis que tonnent les fausses certitudes entourant l'esprit
de guerre Žconomique et financire. Certaines entreprises expŽrimentales, dites
"Žthiques", le prouvent malgrŽ le tumulte environnant ; il semble que
personne ne les Žcoute. Mais lˆ est un autre sujet qui dŽpasse notre cadre de
rŽflexion.
Si le licenciŽ peut remettre en cause
cette illusion ˆ propos de l'Žchec, il
aura gagnŽ une victoire importante sur le pouvoir de conditionnement des idŽes
reues ˆ propos du travail, de l'emploi et du ch™mage. Ce n'est pas un travail
aussi facile qu'il y para”t. La rŽcompense sera cependant ˆ la mesure de
l'effort de discernement fourni.
Ë
propos des jours suivant le licenciement, un court commentaire sur les bilans
professionnels qui peuvent intervenir ˆ
cette Žtape. Les spŽcialistes cherchent ˆ Ïuvrer dans ce sens de la
positivation du parcours du salariŽ qui est licenciŽ, et se rŽvlent une aide
apprŽciable. Parfois, malheureusement, ils oublient de laisser la critique au
vestiaire en croyant tre plus "objectifs", et renforcent le
sentiment d'Žchec. Que dirait-on d'un mŽdecin qui soigne son malade en lui
disant : "Je vais rŽparer les dŽg‰ts de votre tentative de suicide, mais
je vais vous faire mal pour que vous ne recommenciez pas". Cet exemple limite, inspirŽ d'un cas rŽel est un peu
brutal. Il peut cependant permettre de se rappeler de scinder toujours en deux
pŽriodes bien ŽloignŽes l'une de l'autre, un bilan de "sauvetage",
d'un bilan des aptitudes et qualitŽs ˆ
dŽvelopper. Car ce dernier comporte
pratiquement toujours une phase de remises en cause culpabilisantes. D'ailleurs un tel bilan devrait tre uniquement
conduit par l'intŽressŽ lui-mme, et faire
l'objet seulement d'un auto-diagnostic.
En effet, qui peut prŽtendre pouvoir juger des potentiels non encore rŽvŽlŽs que tout tre humain renferme ?
Il existe tant de prŽtendus tests d'aptitudes objectifs qui se rŽvlent faux
dans la pratique, qu'il faut les regarder systŽmatiquement avec un grand
scepticisme. Si on les Žtudie longuement, on peut se rendre compte comme le savoir
faire en la matire est difficile et long
ˆ acquŽrir ; et combien le point de vue est si frŽquemment unidirectionnel que
les conclusions s'avrent le plus souvent peu utilisables. L'Žpreuve reste
traumatisante pour le cobaye, dans tous
les cas.
L'auto-licenciement.
L'initiative
de la rupture du contrat de travail n'est pas l'apanage de l'employeur. Si la
dŽmission est hasardeuse et se fait rare, "l'auto-licenciement" est
pratiquŽ, consciemment ou inconsciemment, peut-tre plus souvent qu'on ne le
pense. Les r™les de licencieur et de licenciŽ sont donc permutables ! Le
fait de pouvoir tirer sa rŽvŽrence ˆ
son employeur de cette manire est vŽcu par certains comme un moyen de
rŽŽquilibrer un rapport de force ˆ leur avantage, non pas financier, mais
Žmotionnel. Les rapports humains aussi, sous leur aspect affectif, sont comme
une sorte de bilan : les comptes
doivent tres ŽquilibrŽs pour qu'il y ait bonne santŽ. Et cette manire de se faire licencier, dans la pŽriode
historique que nous vivons, peut tre ressentie comme un pis-aller plus
acceptable.
Cette
faon de faire n'est pas nŽcessairement consciente. Lorsqu'un employŽ commence
ˆ adopter un comportement non conforme ˆ l'Žquilibre du service, il crŽe les
conditions de ce type de rupture. Elle sera ou non consommŽe, selon les
circonstances et les traditions de l'entreprise. Dans d'autres cas, cette
dŽmarche est planifiŽe par le salariŽ, et fait l'objet d'une vŽritable
stratŽgie et d'une nŽgociation en termes de temps et d'indemnitŽs. Il n'y a
aucun jugement moral ˆ porter ; c'est une consŽquence des rigiditŽs des pensŽes
et des systmes. ComparŽe ˆ la dŽmission ne donnant pas lieu ˆ indemnitŽ, ni allocations,
cette pratique peut soulever des interrogations. Mais il faudra voir dŽjˆ bien
plus clair ˆ propos des dimensions psychologique et culturelle de la notion de salaire pour tenter de discerner ce que l'avenir peut nous
rŽserver, et pour pouvoir non pas juger affectivement, mais comprendre
rŽellement. Aussi cette rŽflexion dŽpasse-t-elle les limites de notre sujet.
Des
nombreuses faons de se faire licencier, retenons un dŽnominateur commun : le
non-respect des rgles du jeu et le refus de s'intŽgrer ˆ un groupe qui finit
par rejeter le "corps Žtranger".
Les paroles d'un salariŽ qui
s'Žtait auto-licenciŽ semblent rŽsumer la question :
"
Je viens de donner ma dŽmission" !
La premire Žtape Žclair,
initiant le ch™mage, est passŽe. Nous avons tentŽ de retirer de l'expŽrience le
moyen de pouvoir rena”tre ˆ une nouvelle vie, en cherchant comment l'individu
peut se rŽconcilier d'abord avec lui-mme, en vivant autrement son drame, et en
se dŽgageant des fausses idŽes conditionnantes. Le lecteur concernŽ, qui
marquera une respiration ˆ ce moment,
se rendra compte si sa vision peut devenir autre et s'il pense pouvoir sortir
la tte de l'eauÉ
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SUITE P1 CH 2 >>
© Copyright 2000-2005 Richard AndrŽ - Document dŽposŽ.
[1] En 1999, sur 441 rŽfŽrences bibliographiques, par exemple, rŽparties sur une dizaine de sites rapidement accessibles, on trouve le mot ch™meur (ou un mot s'y rŽfŽrant : ch™mage, pauvre, prŽcaritŽ, exclusÉ) dans le titre (ou le rŽsumŽ) de seulement 26 ouvrages ; ce qui reprŽsente moins de 6 % des rŽfŽrences ! Relevons que ce point n'est pas en contradiction avec les plus des deux cents ouvrages comportant les mots ch™mage ou ch™meur dans leur titre, et disponibles sur des sites commerciaux d'internet, car les bases de recherche sont alors plus concentrŽes. Il est ˆ noter dans ce cas que le mot ch™mage apparait environs six fois plus souvent que celui qui dŽsigne l'individu ch™meur.