DEUXIéME PARTIE Plus de TROIS MILLIONS DE RƒSIStants NON-VIOLENTS

 

 

Chapitre II

 

 

 

 

 

CHïMEUR : UN TRAVAILLEUR

Ë PART ENTIéRE

 

 

 

Chapitre II. — CHïMEUR : UN TRAVAILLEUR Ë PART ENTIéRE.

Les dimensions personnelles du travail du ch™meur.

TRAVAIL PERSONNEL DE DƒCƒLƒRATION DES RYTHMES PROFESSIONNELS. — ï temps,

suspends ton vol !É — TRAVAIL PERSONNEL DE DISTANCIATION DES FAUSSES VALEURS. — Heureux qui comme UlysseÉ. — TRAVAIL PERSONNEL DE RƒAJUSTEMENT DES VRAIS BESOINS. — Une culture des bidulesÉ ou cultiver son jardin ? — TRAVAIL PERSONNEL D'EXPLORATION DE Nouvelles formeS d'activitŽ. — Salut aux coureurs d'aventures ! — TRAVAIL PERSONNEL DE RŽsistance aux endoctrinements et aux pressions DIVERSES. — RŽsister, c'est d'abord savoir dire non. — TRAVAIL PERSONNEL D'INDIVIDUALIsation dŽmocratique. — "La dŽmocratie nŽcessite des citoyens vertueux". — Un simple travail de constatationÉ

 

 

 

 

Si nous finissons par reconna”tre la FORCE que reprŽsentent plusieurs millions d'individus, fussent-ils au ch™mage, nous devons logiquement admettre que cette force peut effectuer un  TRAVAIL , au sens gŽnŽral, et non, bien entendu, au sens d'un travail salariŽ produisant une valeur ajoutŽe comptable, de nature Žconomique,  ˆ un bien ou un service.

Cet ouvrage a centrŽ la rŽflexion d'entrŽe sur le travail social, dans un sens trs large et non limitŽ aux emplois dits sociaux, car c'est l'aspect le plus revalorisant et le plus utile pour la sociŽtŽ tout entire. Mais il faut aussi parler de travail ˆ part entire, dans la mesure o il a d'autres dimensions, dont une dimension personnelle essentielle. Et surtout parce que ce travail n'est pas un quelconque sous-emploi, ou une activitŽ au rabais. Il suffit de se rappeler l'effort entrepris, il a quelques dŽcennies, afin de revaloriser le travail manuel, pour comprendre que cette tendance au rejet de certaines formes de travail qui ne sont pas considŽrŽs comme noble est un rŽflexe bien courant, dans notre pays en particulier[1] ! Aujourd'hui, ce rŽflexe de non-reconnaissance s'applique malheureusement au travail des ch™meurs.

 

Pour que le ch™meur puisse saisir la portŽe du travail de L'ENSEMBLE DES CHïMEURS, d'une manire qui ne soit pas seulement hypothŽtique, il est sans doute nŽcessaire qu'il puisse d'abord identifier sa propre activitŽ quotidienne de faon aussi concrte que possible. Le ch™mage l'a propulsŽ malgrŽ lui dans une situation dont-il ne pense pouvoir sortir qu'en retrouvant un emploi. Et dans cette situation il est forcŽ, surtout avec le temps, d'effectuer un certain nombre d'exercices incontournables. Sans parler du travail de recherche d'un emploi et du travail de formation professionnelle Žventuel (que l'opinion admet sans grande difficultŽ de reconna”tre comme du travail), il est amenŽ obligatoirement ˆ un moment ou ˆ un autre ˆ rŽorganiser son existence. Ë se poser des questions sur ses choix. Et ˆ constater les Žcarts entre ses aspirations, ses rves, ses projets, et la rŽalitŽ qui ne les lui permet pas. C'est ce travail individuel qu'il lui faut d'abord cerner.  Il peroit tout cela de manire indiffŽrenciŽe, dans un inconfort moral plus ou moins sensible, car nous savons bien qu'il est confrontŽ ˆ des clivages personnels, donc douloureux. Il sera amenŽ ˆ les rŽsoudre tant bien que mal. Nous en avons parlŽ ˆ plusieurs reprises tout au long des chapitres qui prŽcdent, pour bien nous familiariser avec le mŽcanisme. C'est sur cette base personnelle progressivement repositivŽe par l'analyse qu'il doit donc s'appuyer s'il veut s'associer consciemment ˆ la rŽsultante collective. Ou, dit autrement : s'il aspire ˆ voir les petits ruisseaux faire la grande rivire !

 

            Ne nous trompons pas : ce travail individuel du ch™meur, le non-ch™meur peut Žgalement l'effectuer, dans d'autres conditions ou contextes. Aussi nous gardons ˆ la mŽmoire qu'il n'y a aucune opposition entre des ch™meurs qui font un travail social et des non-ch™meurs qui n'en feraient pas. Tous deux font leur part de ce travail social, de manires diffŽrentes. Simplement, notre sujet est la condition des ch™meurs et non la condition des salariŽs de l'entreprise. Une prioritŽ humaine veut qu'il soit d'abord question d'eux ; et de courtoisie : ils ont si rarement la parole. De plus, un autre ouvrage serait nŽcessaire pour traiter sŽrieusement de cet aspect social du travail des salariŽs, en parallle et en synergie.

 

            Le travail s'effectue selon divers AXES. Nous allons en expliciter quelques-uns : les plus frŽquents, ou les plus perceptibles. Ils prŽsentent un parallle particulirement intŽressant avec l'effet collectif du ch™mage, abordŽ au chapitre suivant. Ces travaux personnels sont dans bien des cas une exclusivitŽ ou une spŽcificitŽ rŽsultant de la condition du ch™mage.

Ces axes ne sont pas nŽcessairement vŽcus par le ch™meur dans l'ordre qui suit, ni ne sont obligatoirement tous expŽrimentŽs consciemment. La durŽe du ch™mage a sans doute aussi une importance sur l'intensitŽ et l'acuitŽ de perception de ces efforts personnels.

Pourquoi alors chercher ˆ gŽnŽraliser et ˆ classifier des expŽriences Žminemment individuelles ? S'il ne fallait trouver qu'une seule bonne raison, nous pourrions commencer par envisager tout ce que peut apporter une ORGANISATION de la pensŽe comme soulagement ˆ cette impression d'existence chaotique et dŽsordonnŽe. Chaos renforant l'angoisse de ne jamais pouvoir trouver la porte de sortie. Partons, pour le moment, sur cette motivation.

 

 

Les dimensions personnelles du travail du ch™meur.

 

 

            Essayons de descendre au cÏur de cette matire brute qui est au ch™mage. Et de mesurer qualitativement, ˆ partir de constatations simples, Žvidentes, bien connues mais pas reconnues, ces petites choses de l'existence du ch™meur, pour en trouver la valeur. Le lecteur pourra ˆ loisir prolonger sa rŽflexion ˆ partir de ces axes ŽlŽmentaires, selon son expŽrience concrte.

 

 

TRAVAIL PERSONNEL DE DƒCƒLƒRATION DES RYTHMES PROFESSIONNELS.

 


ï temps, suspends ton vol !É

Ce freinage dans la progression de carrire, Žconomique, est certainement ce qui est le plus Žvident, au dŽbut, pour chaque ch™meur. Ce qui faisait dire par dŽrision ˆ l'un d'eux, dans la premire partie, ˆ l'issue de l'arrt brutal de son activitŽ ˆ la suite de son licenciement : Ouf, je suis en vacances ! C'est donc, parmi les premiers facteurs, celui du temps qui est en jeu.

            Cette dŽcŽlŽration plaque l'individu, non pas contre son sige, mais dans son lieu de rŽsidence, o il va tre quasiment IMMOBILISƒ. C'est l'illusion dont il a ŽtŽ question au chapitre prŽcŽdent. Il va y tourner en rond, selon l'expression habituelle des ch™meurs. Cette situation immobile est ressentie au niveau de l'activitŽ physique ralentie, mais aussi au niveau Žmotionnel et mental, de manire ambivalente : soulagement, au dŽbut ; anxiŽtŽ, rapidement. Cette dŽcŽlŽration brusque est bien plus brutale que celle qui prŽcde la retraite.

 

Le salariŽ qui voudrait se rendre compte, autrement qu'intellectuellement, de ce que signifie cette dŽcŽlŽration spŽcifique au ch™mage, peut l'expŽrimenter au cours d'une randonnŽe pŽdestre longue, d'un mois par exemple. Tous ceux qui ont vŽcu cette aventure, quelles que soient leurs motivations, leurs convictions, leurs idŽaux, reconnaissent qu'elle procure une TRANSFORMATION radicale, irrŽversible de la totalitŽ de l'tre. Il en est de mme pour le ch™mage ; seulement, la perception de cette transformation peut tre masquŽe par d'autres aspects de l'Žpreuve, comme la course au nouvel emploi.

C'est en ce premier sens de transformation de l'tre qu'il faut considŽrer le travail qui s'effectue. La force du salariŽ, utilisŽe dans l'entreprise pour produire un bien ou service Žconomique, est redirigŽe par le ch™mage sur l'individu et le foyer o elle va produire d'autres effets, en s'appliquant sur d'autres valeurs non Žconomiques.

De nos jours, cette activitŽ domestique est gŽnŽralement plut™t perue d'un point de vue d'ordre affectif. En effet, si elle a la caution du cÏur, elle n'en a pas la comprŽhension de la raison. Autrement dit, l'opinion est d'accord en gŽnŽral pour reconna”tre que le travail : ce n'est pas tout ; mais quand il est absent, l'activitŽ domestique n'est pas regardŽe comme aussi valorisante.

 

Si nous voulons bien chercher les bŽnŽfices de cette dŽcŽlŽration, nous pouvons constater qu'elle produit une plus grande DISPONIBILITƒ de l'ex-salariŽ. Et cette disponibilitŽ a des consŽquences positives. L'une d'elles, en particulier, est le RƒƒQUILIBRAGE des r™les rŽciproques dans le couple. Par exemple, s'il s'agit d'un ch™meur et de son Žpouse qui a un emploi, la disponibilitŽ de l'homme lui permet dans bien des cas de s'occuper plus des t‰ches habituellement dŽvolues ˆ la condition fŽminine. Et cela transforme l'image de l'homme et de la femme. Ceci est une Žvidence admise. Mais il faut aussi alors reconna”tre que cette transformation des r™les est favorisŽe par le travail du ch™meur plus disponible.

 

            Un autre effet bŽnŽfique de la dŽcŽlŽration est la perception, par simple effet de contraste, de l'anormalitŽ des rythmes professionnels contemporains. Ils suivent l'emballement de l'Žconomie. Les salariŽs qui nous parlaient dans la premire partie, de l'ambiance relax dans laquelle ils travaillaient gr‰ce ˆ la qualitŽ du management de leur patron, ou les paysans qui suivaient les rythmes des saisons sans cet esprit Žconomique nouveau dont ils ont attrapŽ eux aussi le virus, n'Žtaient-ils pas plus proches de ces rythmes naturels ? Ce qui n'excluait ni l'effort ni la pŽnibilitŽ de certaines t‰ches, bien entendu.

Le ch™meur mesure tout le dŽphasage entre son ancienne activitŽ et les rythmes biologiques dont il commence ˆ se rapprocher. C'est une dimension que la SantŽ publique essaie de ma”triser dans les entreprises ; elle n'est donc pas quantitŽ nŽgligeable, en comparaison des aspects Žconomiques. Nous disons tous que le trop fort diffŽrentiel entre la vitesse humaine et la vitesse technologique crŽe le stressÉ et les accidents. Le ch™meur incarne une sorte de tŽmoin de rŽfŽrence informel et discret de cet aspect rythmique de l'existence. Mais n'oublions pas sa multiplication par les millions d'individus dans cette mme situation, qui aboutit ˆ une France vivant ˆ divers rythmes !É

Au bout de plusieurs annŽes de ch™mage, nous comprenons bien que les nouveaux rythmes acquis ne collent plus avec les rythmes de l'entreprise, et posent un problme non seulement ˆ l'embauche, mais ˆ l'ensemble de la sociŽtŽ. Mais est-ce un mal ? Lorsque nous apprendrons ˆ regarder la culture d'autres pays, nous nous rendront compte que tous ne travaillent pas ˆ notre rythme saccadŽ !

En parallle, nous pourrions considŽrer que le salariŽ incarne l'aspect rythmique de l'activitŽ professionnelle. Soit ŽquilibrŽ, lorsque la production Žconomique l'est ; soit limite, voire dŽsŽquilibrŽ, lorsque cette Žconomie devient frŽnŽtique. Voici donc un deuxime aspect du travail personnel rŽsultant de cette dŽcŽlŽration.

 

            Le ch™meur attentif se rend bien compte Žgalement de l'impact de l'aviditŽ et de la peur dans les rythmes professionnels, lorsque ceux-ci s'emballent ou sont soumis aux agressions Žconomiques, ˆ la compŽtitivitŽ belliqueuse, ˆ la perte de marchŽs, ou ˆ la rŽcession. Toujours par effet de contraste avec son nouveau mode d'existence. Voici un troisime aspect du travail personnel rŽsultant de cette dŽcŽlŽration.

 

Le facteur d'immobilisation est certainement le facteur extŽrieur le plus puissant qui favorise tout ce travail individuel. Bien des personnes ne le croient pas. Mais ce n'est pas une question de croyance. C'est un fait expŽrimental. Lorsque le ch™meur parvient, aprs bien des efforts, aprs bien du temps, ˆ ajuster le rythme de ses Žmotions et celui de ses pensŽes ˆ ce nouveau rythme imposŽ par l'immobilisation physique, il comprend sa vŽritable signification. Il peut alors envisager de pouvoir sortir de son apathie et de son dŽcouragement.

 

RŽsumons les bŽnŽfices.

 

BŽnŽfice personnel de la DƒCƒLƒRATION DES RYTHMES PROFESSIONNELS : Cette situation au ralenti, nouvelle, dŽveloppe une qualitŽ personnelle : la capacitŽ plus grande de patience.

          

Nous pourrions dŽcliner d'autres bŽnŽfices, pas toujours reconnus comme tels, de ce changement de rythme. Nous verrons au chapitre suivant le parallle collectif qui peut tre fait, en partie gr‰ce au travail des ch™meurs. Partie qui ne leur est pas reconnue, et qui doit l'tre, comme toute rŽalitŽ doit tre prise en compte. Pour prendre une image historique, toutes proportions gardŽes, ˆ propos d'une autre non-reconnaissance : il y eut celle du peuple chinois, que la plante entire boudait, il n'y a pas si longtemps, et que le GŽnŽral De Gaulle reconnut le premier, seul contre tous. Alors qu'en sera-t-il du "peuple des ch™meurs" !

            Dans son environnement familial, et proche, le ch™meur, par son comportement, par ses occupations nouvelles, par ses rŽflexions, mme si elles sont nŽgatives, a une influence indiscutable, mme si elle est involontaire. Cette influence peut Žgalement tre considŽrŽe comme un travail social dans la mesure o, tout simplement, ce ch™mage est une donnŽe socioŽconomique et le ch™meur un acteur socioŽconomique. Donc il est une grandeur physique rŽelle, non un concept intellectuel, auquel l'environnement se frotte. Cette idŽe simple devrait chasser bien des idŽes fausses sur le ch™mage.

 

BŽnŽfice pour l'entourage : Ce travail relationnel humain induit quelques effets secondaires nŽgatifs de prime abord, mais en dŽfinitive il a surtout les mmes effets positifs de RƒƒQUILIBRAGE sur les individus proches.

             

Comme pour chacun des axes de travail suivant, essayons d'imaginer ce que ces bŽnŽfices tangibles, personnels et pour l'entourage, peuvent avoir comme effet plus synthŽtique et achevŽ, et prŽsenter un bŽnŽfice idŽal dans l'absolu.

 

BŽnŽfice idŽal : Le travail personnel de dŽcŽlŽration des rythmes professionnels est le premier pas vers un rŽajustement et une revalorisation de l'existence individuelle par rapport ˆ la vie socioŽconomique.

 

Cette transformation personnelle peut-elle influencer le temps de travail et ses paramtres associŽs : qualitatifs, sensibles, financiersÉ? Nous verrons au chapitre suivant comment cet axe dŽbouche sur une dimension collective de rŽharmonisation de la conception du travail.

 

 

 

 

 

 

TRAVAIL PERSONNEL DE DISTANCIATION DES FAUSSES VALEURS.

 


            Heureux qui comme UlysseÉ

 É  a fait un beau voyage, et puis s'en est revenu plein d'usage et raisonÉ Un deuxime facteur - une sorte de quatrime dimension de l'espace - est ici ˆ l'Ïuvre dans le travail du ch™meur. En prenant sa distance gŽographique avec son ancienne entreprise, il met aussi de la distance avec les habitudes prises, et surtout avec la culture d'entreprise ; spŽcifique ˆ la sienne, et aussi commune ˆ toutes. Cette distance physique produit un travail qui permet progressivement une autre forme plus irrationnelle de distance qu'on nomme distanciation, ou non-implication, comme le font les acteurs, au thމtre, avec le personnage qu'ils jouent ; ou les spectateurs, avec l'action dramatique. (Rappelons-nous ce procŽdŽ utilisŽ au chapitre sur l'engrenage fiscal). Cette distanciation produit ˆ son tour un travail de DƒSIDENTIFICATION D'ORDRE AFFECTIF, ou Žmotionnel, ou sentimental, ou motivationnel, selon le terme que l'on prŽfre. L'opinion gŽnŽrale accepte facilement l'idŽe d'identification. Par exemple, on parle depuis longtemps de l'identification des masses ˆ la cause ouvrire. Notons au passage que l'identification introduit aussi la confusion. Confusion entre l'individu et le groupe, confusion entre la pensŽe et le sentiment. La notion contraire de dŽsidentification est moins courante ; peut-tre parce qu'elle est souvent mal vŽcue lorsqu'elle n'a pas de dimension ludique, comme au spectacle. De mme que l'on vit mal tout abandon, comme un licenciement ou un divorce. Il y a une trop forte implication Žmotionnelle ; les enjeux personnels sont trop menacŽs.

Ne peut-on alors considŽrer qu'il y a un travail utile chaque fois qu'un ch™meur permet de clarifier des situations de dŽpendance, issues de son cadre professionnel ?

 

            Ces fausses valeurs auxquelles l'individu s'est identifiŽ, nous en avons rencontrŽ au travers des anecdotes citŽes dans la premire partie. Elles n'ont un caractre faux que relativement ˆ autre chose. Il n'est donc pas question d'avoir une vision manichŽenne des valeurs de l'entreprise et de l'Žconomie, et de les opposer ˆ des valeurs uniquement sociales en particulier ; mais d'envisager leur relativitŽ, leur limitation dans le temps et l'espace, et leur nŽcessaire dŽpassement pour que la Civilisation progresse gr‰ce aux individus qui s'en dŽtachent. Comme des feuilles mortes tombent ˆ l'automneÉ Et de nouvelles repoussent au printemps.

 

            Ces dŽsidentifications concernent le ch™meur, en particulier sur les points suivants :

- L'ENTREPRISE : nous avons dŽjˆ parlŽ, ˆ propos d'une employŽe reconduite en taxi ˆ l'issue de son licenciement, de la rupture Žmotionnelle avec l'image de cocon de l'entreprise, fŽminine, et l'image paternelle de son ou ses dirigeants. Ou au sujet des motivations et de leurs outils en entreprise : credo, grande messeÉ qui poussent artificiellement ˆ cette identification. C'est aussi le cas des primes individuelles, dont le r™le incitateur atteint vite ses limites. Ou des arguments de conviction auxquels l'ex-employŽ Žtait sensible, mais le nouveau ch™meur plus du tout, etcÉ Ce peut tre la raison du refus d'un nouvel emploi offert.

            Il en rŽsulte alors, par diffŽrence, une reconnaissance positive pour un nouveau type d'entreprise vers lequel le ch™meur voudra se tourner.

 

- L'EMPLOI : peut faire l'objet de cette mme dŽsidentification. Par exemple, les carrires commerciales peuvent ne plus prŽsenter le mme attrait pour certains et la formation devenir leur nouvelle voie. Il y aurait des milliers d'exemples ˆ citer. Cela produit au niveau de l'Žtat d'esprit un effet bŽnŽfique dont tout le monde parle sans toujours en envisager toutes les dimensions : il a pour nom la flexibilitŽ. Pas au sens rŽducteur des horaires flexibles. Ni dans l'optique d'un moyen de nŽgociation, pour faire pression sur la conscience collective, notamment en se servant de ce mot massue pour faire taire les oppositions. Mais au sens de : plus grande libertŽ individuelle ; y compris celle de ne plus accepter certaines "rgles du jeu" d'entreprise qui sont pŽrimŽes !

            Il peut rŽsulter de cette flexibilitŽ mentale de l'individu un Žlargissement de la dimension de l'emploi, qui va bien au-delˆ d'un simple "enrichissement des t‰ches" (tel qu'il peut tre voulu par l'entreprise dans le cadre d'une stratŽgie de motivation du personnel).

 

- LA MANIéRE D'EXERCER SA FONCTION : Sans rejeter sa profession, la manire de l'exercer peut Žvoluer. Par exemple vers un plus grand sens de responsabilitŽ en termes de service rendu ; ou de la recherche d'une qualitŽ non seulement technique d'un produit, mais de sa vŽritable adaptation aux besoins ; d'un sens Žthique entra”nant un refus de certains compromis, parfois inacceptables sur le plan humain ; d'un regard plus humain ajoutŽ ˆ une t‰che machinale, etcÉ

            Il en rŽsulte un renouveau de l'aspect qualitatif des biens et services, dont nous avons dŽjˆ parlŽ.

 

- L'ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL : Il peut ne plus reprŽsenter autant d'attrait qu'autrefois. Par exemple, le ch™meur peut se dŽtacher de l'aspect honorifique concernant la taille d'un bureau, ou de quelque autre attribut superficiel du succs, comme aiment en jouer particulirement les firmes multinationales.

            Il en rŽsulte une libertŽ par rapport aux manipulations de fausses motivations.

 

- LES PRODUITS et les SERVICES : Le ch™meur peut ne plus jamais vouloir s'occuper de certains produits ou services dont il reconsidre la vŽritable finalitŽ, ou tout simplement qui ne correspondent plus ˆ son sens moral nouveau. Qui aujourd'hui en France, par exemple, accepterait de vendre des produits prŽsentant un risque de contaminer le bŽtail ? Alors qu'une certaine "inconscience" Žtait possible il n'y a pas si longtemps. Il y a peut-tre bien plus de domaines concernŽs que l'opinion gŽnŽrale ne le croit ; puisque l'actualitŽ nous en dŽmasque chaque jour un peu plus la masse de l'iceberg.

Il en rŽsulte une nouvelle libertŽ par rapport aux biens de consommation.

 

            Lorsqu'on entend dire que les cadres de plus de cinquante ans au ch™mage sont plus flexibles sur les salaires, le dŽplacement gŽographique, les horairesÉ, faut-il entendre qu'ils sont prts ˆ tout ?É Ou au contraire qu'ils sont encore plus exigeants sur certains aspects QUALITATIFS du travail, et pas prts du tout ˆ prendre n'importe quoi ? L'opinion semble bien dŽsinformŽe sur ce sujet !

 

            Toutes ces petites distances prises avec ce qui s'oppose, en dŽfinitive, au libre-arbitre de l'individu, le librent de l'emprise affective des fausses identifications. Elles Ïuvrent pour la libertŽ dans le travail.

 

Le ch™meur voit l'entreprise beaucoup plus avec ses pieds sur la terre ferme. Cela lui permet en particulier de relativiser les divers aspects de la dimension d'Žpanouissement personnel que l'on prte au travail salariŽ. Elle est incontestablement rŽelle, mais souvent trop globalisŽ par les idŽologues qui s'en servent comme vecteur pour leurs idŽes partisanes.

Si les principaux paramtres du travail : salaire, confort des conditions de travail, santŽ, Žchanges amicaux et relationnel, honneur et rŽcompense, augmentation des certitudes quant ˆ l'avenir de l'entreprise[2]É, sont d'un prix trop ŽlevŽ en termes de contreparties d'abandon des libertŽs, le ch™meur en vient ˆ la conclusion que certaines choses n'en valent pas la peine. Et qu'ˆ tout prendre, il vaut mieux qu'il patiente au ch™mage. Mme si le raisonnement n'est pas clairement dŽroulŽ en ces termes, mme si les ch™meurs disent qu'ils sont "prts ˆ tout" pour trouver un travail, ils finissent par se comporter plus ou moins conformŽment ˆ ces dŽsidentifications. Particulirement ceux dont la coupe Žtait trop pleine et qui sont entrŽs en rŽsistance, sans tre nŽcessairement des rŽvoltŽs ou des rŽvolutionnaires conscients.

 

            Les Žtudes nous disent que le ch™mage a un effet dŽstructurant sur la famille. En effet, comment une dŽsidentification des fausses valeurs, initiŽe par le ch™mage, Žpargnerait-elle une remise en cause gŽnŽrale de tous les aspects de l'existence ? Mais ne faudrait-il pas se garder de conclure trop rapidement ?  Ne faudrait-il pas se demander quelle influence finalement positive, ˆ moyen et long terme, le ch™mage aura ? Si la cellule familiale semble secouŽe par la guerre Žconomique, ne pourra-t-elle pas se refonder elle aussi, dans l'avenir, sur de valeurs plus solides, plus vraies ? Et si nous avons parlŽ dans un chapitre prŽcŽdent, de la distance et de la solitude qui s'installe parfois dans les familles frappŽes par le ch™mage, cela ne remet pas en cause l'effet bŽnŽfique ˆ terme du travail de dŽsidentification. Cette dŽsintŽgration ou dŽsunion du couple ne va pas nŽcessairement jusqu'ˆ la rupture. L'Žlimination des fausses valeurs relationnelles entre conjoints, gr‰ce ˆ la crise, peut au contraire dŽboucher sur un resserrement des liens. Et les statistiques qui intŽressent ˆ juste titre les politiques sont, en dŽfinitive, de bien peu d'intŽrt pour une famille qui se retrouve, ˆ l'issue de cette Žpreuve du ch™mage.

            Rappelons ici simplement pour mŽmoire, car il en a ŽtŽ question plus haut, la notion incomplte et trompeuse de perte d'identitŽ, ˆ l'occasion d'un ch™mage long.  Cette terminologie n'insiste que sur l'aspect nŽgatif d'un ressenti, sans en donner le bŽnŽfice ˆ terme[3]. Aussi convient-il d'y substituer la notion plus positive d'abandon d'une fausse personnalitŽ ou de distanciation des fausses valeurs.

 

 

BŽnŽfice personnel de la DISTANCIATION DES FAUSSES VALEURS : Il rŽsulte de toutes ces petites dŽsidentifications un travail positif lorsqu'elles conduisent au dŽveloppement d'une qualitŽ personnelle : la capacitŽ d'exercer un sens critique.

 

BŽnŽfice pour l'entourage : ce travail de dŽsidentification du ch™meur ne peut manquer de produire, en faisant tache d'huile, un effet modŽlisant sur l'environnement familial et sur les proches. Non que le ch™meur devienne un modle en lui-mme, mais parce que ses choix nouveaux interpellent obligatoirement ˆ la longue les autres individus, de manire dynamique et positive. Mme s'ils n'en ont pas une conscience nette. Mme s'ils prennent momentanŽment une certaine distance.

 

BŽnŽfice absolu : Le travail personnel de distanciation des fausses valeurs s'avre finalement comme la condition indispensable ˆ la reconstruction de nouvelles valeurs, plus proches d'une conception humaniste de l'entreprise et de la vie sociale.       

Dans quelle mesure ce travail personnel peut-il fournir une clŽ majeure pour rŽsorber les clivages interindividuels ? Nous verrons au chapitre suivant comment cet axe dŽbouche sur une dimension collective concernant la rŽciprocitŽ des justes relations humaines.

 

 

TRAVAIL PERSONNEL DE RƒAJUSTEMENT DES VRAIS BESOINS. 

 


Une culture des bidulesÉ Ou cultiver son jardin ?

Chacun en est conscient, la sociŽtŽ de consommation a entra”nŽ une surcroissance de besoins qui, sans tres condamnables, sont parfois d'une utilitŽ secondaire. C'est la consommation de biens "bidulisŽs", gadgŽtisŽs. De plus, une aviditŽ nous fait surconsommer et nous rend dŽpendants d'une trop grande quantitŽ de biens. Ne dit-on pas par exemple que l'Occident mange quatre fois trop pour sa santŽ ? L'incertitude du lendemain et la diminution des revenus amnent inexorablement le ch™meur ˆ rŽajuster toute sa consommation. Sans mme parler de ceux qui ont glissŽ dans la pauvretŽ ; dont la pensŽe nous accompagne cependant tout au long de ce travail.

Nous ne pouvons manquer ici de nous rappeler un cŽlbre exemple historique de libŽration individuelle de l'Žconomie, ŽrigŽ en principe philosophique par le mahatma Gandhi. C'Žtait la fabrication, dans chaque foyer, de ses propres Žtoffes et vtements, pour ne pas dŽpendre d'un systme Žconomique national ou d'importations. Le rouet devint alors l'emblme non-violent de cette rŽsistance.

 

Cette obligation de ne dŽpenser que pour l'essentiel est diversement vŽcue et ressentie par les uns et les autres. Dans son aspect positif cependant, le ch™meur se rend compte que les plateaux de la balance sont truquŽs ! Les besoins sont devenus dŽmesurŽs par rapports aux satisfactions qu'il en retire.(Comme ci-dessus, le cožt psychologique des paramtres du travail, par rapport ˆ l'Žpanouissement qu'il est censŽ procurer).

 Mais cette contrainte par corps rŽsultant de son ch™mage lui permet d'observer qu'il peut en rŽalitŽ retrouver certaines satisfactions perdues, ˆ un bien moindre cožt. Quel ch™meur n'en a fait l'expŽrience dans son quotidien ? Cette critique de la sociŽtŽ de consommation est-elle un vieux thme ŽculŽ ? Les mouvements de consommateurs sont-ils ringards ? Peut-tre pouvons-nous voir les choses sous un autre angle et considŽrer en effet la "lutte" comme dŽjˆ dŽpassŽe, et la prolifŽration de biens inutiles comme le chant du cygne d'une vieille civilisation en train de muter ? C'est-ˆ-dire que les circonstances de l'existence moderne - dont celle de ch™mage - apporteraient les rŽajustements des besoins, de manire quasiment automatique. L'avenir seul peut confirmer ou non cette hypothse ; les prŽmices de ce quart de sicle passŽ ne vont-ils pas dans ce sens nŽanmoins ?

 

En attendant, le ch™meur, lui, continue le travail dans sa propre existence. Et comme les autres travaux prŽcŽdents, cela a un impact positif dans son environnement ; mme si bien des frustrations et des manques dŽsagrŽables s'y associent.

Nous avons entendu ce couple de ch™meurs citadins, par exemple, qui avait fait le choix d'un repli rŽgional et qui dŽcouvrait le plaisir d'aller aux champignons et d'occuper ses loisirs ˆ des marches Žconomiques, Žcologiques, familiales, dans la nature. Il faut semble-t-il, de l'expŽrience de tous ceux qui en parlent, bien des annŽes, parfois cinq, huit ans pour retrouver l'harmonie profonde dans de nouvelles conditions d'existence plus sobres, mais plus saines. Aussi n'est-ce pas un idŽal motivant mais bien plut™t une rŽelle implication inŽluctable, au long cours, qui s'impose. Il change nŽanmoins les mentalitŽs vis-ˆ-vis de la consommation.

 

            Ce travail de rŽajustement des besoins ne concerne pas les seuls besoins de consommation et de confort. Il a un impact positif sur les cinq groupes de besoins dont nous avons parlŽ au chapitre IV de la premire partie : Besoins vitaux, et dŽcouverte de la traversŽe du mur de la peur. Besoins d'union et de rŽunion, et reconnaissance des vrais amis. Besoin de considŽration : É Lˆ, il y a une prise de conscience par les ch™meurs que ce besoin n'est PAS SATISFAIT (ce sujet continuera ˆ retenir notre attention jusqu'au terme de ce travail). Besoin de conna”tre, et dŽcouverte des idŽes fausses et des manipulations des sentiments qui abusent l'opinion, etcÉ

 

Ce rŽajustement concerne par exemple ce ch™meur, ex-cadre aux lourdes responsabilitŽs, qui en Žtait revenu de l'illusion du pouvoir de l'encadrement. Il n'aurait pour rien au monde abandonnŽ sa nouvelle existence plus calme, de sybarite selon son expression, aprs de longues annŽes d'interrogations lors d'un ch™mage intermittent. Il avait forgŽ sa dŽtermination de ne plus s'invertir au dŽtriment de sa vie personnelle, qu'il estimait avoir g‰chŽ pendant dix-huit ans. Il commenait ˆ mettre en pratique ce rŽajustement de ses choix, en se satisfaisant de son nouvel emploi moins exposŽ.

Il n'est pas nŽcessaire de dŽvelopper plus ces thmes des besoins. Ils sont au cÏur mme de l'existence de chaque ch™meur qui ne peut plus fuir dans les rythmes effrŽnŽs du travail, ni trouver des fausses solutions dans une surconsommation.

 

            Certains disent qu'il est "comme pris dans une trappe", dont il dŽsespre de pouvoir sortir ; nous avons dŽjˆ notŽ cette expression plus haut. Arrtons-nous sur cette image, ˆ la fois nŽgative et fausse. NŽgative, car elle est en soi dŽvalorisante : ne l'utilise-t-on pas pour signifier que des animaux ont ŽtŽ capturŽs ? Fausse, car cette trappe suggre qu'il ne puisse y avoir de travail utile, hormis celui d'essayer d'en sortir. [4] De plus, personne ne peut prŽdire l'avenir et dire qu'un ch™meur ne sortira jamais de ce prŽtendu pige.

Ne pourrait-on essayer d'imaginer un instant les ch™meurs dans une situation un peu plus positive ? Comme ces soldats mŽdiŽvaux en poste dans la barbacane d'un ch‰teau fort ? Ils sont pris entre deux forces qui les obligent ˆ se battre, en se surpassant. D'un c™tŽ, leurs alliŽs retranchŽs ˆ l'intŽrieur du ch‰teau les ont assignŽs ˆ cette tache hŽro•que en premire ligne. Ils n'en sont sŽparŽs que par un pont-levis relevŽ, qui les isole (quel symbole de fracture !). De l'autre c™tŽ, ˆ peine protŽgŽs par ce mur semi-circulaire de la barbacane, ouvert ˆ l'arrire sur l'entrŽe close du ch‰teau, ils ne peuvent s'aventurer au-dehors, o les ennemis les attendent.

SalariŽs dans le ch‰teau fort de l'Žconomie. Ch™meurs exposŽs sur l'esplanade de la barbacane ˆ la merci des ennemis : la cupiditŽ et de l'Žgo•sme de la puissance financire, privŽe et publique. Ils figurent symboliquement et de manire pertinente ce concept trs moderne de l'art guerrier mŽdiŽval. Cette analogie n'est-elle pas plus proche de la rŽalitŽ du travail individuel du ch™meur ? Et Žgalement plus noble ?

 

            Il est certain que si les consommateurs commencent ˆ faire un tri plus intelligent de leurs besoins, non pour se priver, mais pour trouver des LIBERTƒS NOUVELLES DANS LEUR EXISTENCE, c'est tout l'emballement de la mŽcanique Žconomique qui se trouve et pourra se trouver de plus en plus RƒGULƒ. On peut comprendre l'horreur que cela inspire ˆ l'aviditŽ de cette machine insatiable, et les forces conservatrices coercitives qu'elle mobilise pour ne rien remettre en cause de sa puissance, de son monopole sur les consciences !É En premier lieu en agitant l'Žpouvantail de la misre, de la pŽnurie, si la croissance s'arrte. Mais le ch™meur, moins riche qu'avant il est vrai, n'a-t-il vraiment trouvŽ aucune autre richesse intŽrieure supŽrieure, qui en vaillent la peine ?É

 

BŽnŽfice personnel et pour l'entourage du RƒAJUSTEMENT DES VRAIS BESOINS : Gožter les saveurs parfois oubliŽes de choses simples.

 

BŽnŽfice absolu : Le travail personnel de rŽajustement des vrais besoins complte le travail prŽcŽdent pour dŽgager une vision plus saine de l'Žconomie, c'est-ˆ-dire plus libre de la compŽtition et de la rentabilitŽ.

 

La modification des besoins individuels finira-t-elle par avoir raison des besoins artificiellement crŽŽs par le "dŽlire anxieux des thŽories dŽboussolŽes" ? Nous verrons au chapitre suivant comment cet axe dŽbouche sur une dimension collective de rŽgulation de l'Žconomie.

 

 

TRAVAIL PERSONNEL D'EXPLORATION DE Nouvelles formeS d'activitŽ.

 


Salut aux coureurs d'aventures !

Plus le temps passe, plus les difficultŽs de retourner dans le giron de l'entreprise traditionnelle augmentent. Nous ne parlons donc pas des ch™meurs qui ont retrouvŽ un emploi, ou de ceux qui ont profitŽ d'un licenciement pour crŽer une nouvelle entreprise dont ils avaient dŽjˆ le projet en tte. Ces ch™meurs-lˆ suivent le cours traditionnel de l'Žconomie en marche. Il n'y a rien ˆ en dire de plus. Pour les autres ch™meurs, d'un mal peut ressortir aussi un bien lorsqu'ils dŽbouchent, ˆ l'issue d'un parcours parfois semŽ de nombreuses embžches, sur l'invention ou la dŽcouverte de nouvelles formes d'activitŽs. Tous leurs essais ne sont pas toujours couronnŽs de succs, mais n'apportent-ils pas tous une participation positive au travail exploratoire de ces fameuses pistes, dont on rebat les oreilles dŽsespŽrŽes des ch™meurs moins aventureux ?

 

Bien des Žmissions, bien des ouvrages nous dŽcrivent par le menu tous ces nouveaux domainesÉ Et tentent de prodiguer aux ch™meurs force conseils ! Aussi n'allons-nous pas en dresser l'inventaire. Une synthse sera peut-tre possible un jour, nous montrant plus clairement et pragmatiquement la nouvelle culture Žconomique qui pourra se dessiner, lorsque la paix aura succŽdŽ ˆ la guerre Žconomique. Pour l'instant cette culture garde encore un aspect un peu futuriste.

L'accent mis sur la "bidulisation" fait sans doute Žcran ˆ l'humanisation sous-jacente. Les cultures : de la Haute Technologie (Hi Tech), de l'Informatique, du MultimŽdia, du Mobile (tŽlŽphone)É, n'ont pas nŽcessairement un effet enthousiasmant, et porteur d'espoir ˆ court terme, pour le ch™meur.

 

De mme pourra-t-on un jour mieux dŽfinir la nouvelle culture d'entreprise, qui est pour le moment encore trop empreinte de la "rage de convaincre" et de gagnerÉ Au dŽtriment d'un grand nombre d'individus, laissŽ pour compte sur le chemin. On nous parle par exemple "d'entreprise Žthique". Mais quel en est actuellement son rŽel contenu ? Ce que les patrons y mettent, et ce que comprend l'opinion, sont-ils de mme nature ? Cette "Žthique" s'applique-t-elle : aux choix marketing, s'interdisant certaines pratiques immorales bien que licites ; ˆ un ensemble de conditions de travail  pour le personnel, respectueuses des rythmes ; ou encore ˆ une Žtroite synergie des existences professionnelle et privŽe pour plus d'harmonie (mais au profit majoritaire de l'entreprise, bien entendu) ? Cet exemple, encourageant nŽanmoins, est ˆ suivre et ˆ surveillerÉ

 

Prenons encore une comparaison historique familire qui nous permettra d'espŽrer des jours meilleurs, lorsque la guerre Žconomique sera finie. Ë l'issue de la dernire guerre mondiale de 1939-1945, l'Europe en gestation a dit "plus jamais cela". Nous entendons souvent cette expression. Et tous les efforts se sont mobilisŽs. D'une part pour aider les vaincus ˆ relever la tte et Žviter les ferments d'un nouveau conflit futur ; et d'autre part pour supprimer cet antagonisme ancestral majeur entre deux pays, en Žtablissant un dialogue fondŽ sur l'estime rŽciproque. Aujourd'hui, nous avons construit l'Europe. Et les progrs continuent dans le bon sens. Par analogie, nous pouvons certainement tre assurŽs qu'il en sera de mme un jour, pour les combats Žconomiques. Au bŽnŽfice des salariŽs, des patrons, des oisifsÉ, et des ch™meurs qui ne le seront plus.

 

Il y a bien plus d'un quart de sicle que les futurologues tentent de percer le secret du XXIe sicle en matire de nouvelles formes d'activitŽ2. On entend souvent dire que les mŽtiers de demain sont encore inconnus dans une large mesure. C'est une pensŽe d'espoir. On dit moins en public : quelle place ces mŽtiers occuperont dans l'existence familiale, et surtout dans la conscience de l'individu. Le travail salariŽ aura-t-il, comme de nos jours, cette place quasi-exclusive pour dŽterminer l'Žpanouissement de l'individu et son succs ? Lˆ aussi, il y a sans doute un supplŽment d'espoir ˆ mŽditerÉ

            Au sein de ce travail d'exploration, comme nous l'avons notŽ, tout un pan de nouvelles activitŽs se raccroche directement aux rŽflexes actuels de la logique Žconomique. C'est le cas pour les nouvelles technologies. Ce qui est normal. Mais il y a aussi un travail de dŽfrichage qui s'en Žloigne. De telles activitŽs sont dŽcentrŽes en partie de l'Žconomie, et recentrŽe vers les aspects social et humaniste. Tout en essayant nŽanmoins d'en assurer la viabilitŽ. La vŽritŽ se situe sans doute dans la synthse des deux.

 

Un des aspects intŽressants de ce travail des ch™meurs est la caractŽristique INDIVIDUELLE de ces nouvelles activitŽs explorŽes. Que ces nouvelles sources d'emplois correspondent par exemple ˆ un travail de proximitŽ ne nŽcessitant pas de dipl™mes ; ou au contraire ˆ une adaptation rŽgionale de fonctions de conseil, encore aujourd'hui trop rŽservŽs aux cadres dŽmissionnaires en grandes agglomŽrations. On pense habituellement aussi au tŽlŽtravail, favorisŽ par le dŽveloppement des communications. Ou aux rŽseaux de compŽtences, permettant ˆ des individus seuls de retrouver un lien virtuel dans un cadre professionnel isolŽ. Mais ces exemples courants ne sont sans doute que des balbutiements.

 

            Nous avons vu (au chapitre II de la premire partie) le frein majeur au dŽveloppement de ces activitŽs individuelles par des ch™meurs, mis par la rigiditŽ des corporatismes (Administration, Chambre de Commerce,É), et des lois fiscales.

Il existe un autre obstacle : la crainte de la DIFFƒRENCE. Les braves gens n'aiment pas que l'on fasse autre chose qu'eux !É dit la chanson. Les idŽes fausses, comme toujours, servent de paravent ˆ cette peur, pour empcher les individus de travailler diffŽremment et librement. Rappelons-nous l'exemple ˆ propos de l'illusoire justice fiscale. En paroles, tout le monde semble d'accord pour que le ch™meur innove. Mais lorsqu'il passe ˆ l'acte, les passions Žgo•stes reprennent le dessus pour l'en empcher.

Les salariŽs n'en mesurent sans doute pas toute la dimension, contrairement aux ch™meurs qui cherchent ˆ tracer ces nouvelles routes. Ce sujet mŽriterait ˆ lui seul bien des dŽveloppements, tant il est complexe.

Le travail du ch™meur permet donc, dans une certaine mesure, non mesurable, d'aller au-delˆ de cet obstacle gigantesque de la diffŽrence, qui freine considŽrablement le progrs social actuel. Mais nous savons que les explorateurs ont ouvert de tout temps des voies qui ne se refermeront jamais tout ˆ faitÉ

 

Sortir du groupe est dŽjˆ trs mal vu. Mais s'affirmer hors du groupe, l'est encore plus. Les ch™meurs qui n'ont plus rien ˆ perdre - ŽlŽment essentiel - sont parfois ceux qui osent explorer ces voies "scandaleuses". En voici une, bien modeste et innocente, comme illustration.

"En tant que ch™meur inscrit je suis censŽ rechercher activement un emploi salariŽ. Mais comme ˆ mon age, je sais que je ne pourrai pas en retrouver, et comme je veux conserver mes points de retraite et les maigres ressources qu'ils me versent, je dois rester discret sur le travail que je fais ˆ mon compte. J'ai crŽŽ une sociŽtŽ virtuelle qui rŽunit : un autre ami ch™meur qui prospecte sur la capitale, une structure de facturation qui nous prte son administration et son nom, et moi-mme qui traite les dossiers techniques depuis ma Province. Il m'a fallu deux ans pour mettre tout au point. Tout ce travail n'Žtait pas rŽmunŽrŽ, mais je ne suis pas sžr qu'il soit bien admis par l'administration, car ˆ proprement parler tout ce temps je ne l'ai pas perdu dans des dŽmarches inutiles imposŽes par l'administration, selon ses critres. Cette gymnastique m'est imposŽe par le manque de flexibilitŽ de l'administration fiscale et de l'urssaf. La rentabilitŽ de mon temps est nettement infŽrieure en apparence ˆ celle des entreprises traditionnelles. Mais quel plaisir j'ai, de travailler sans compter mon temps !

     Pour illustrer ce point des horaires : J'ai eu un client. J'ai dž le traiter moitiŽ personnellement, et pour l'autre moitiŽ, il a ŽtŽ pris en charge par un cabinet parisien tiers auquel j'ai dž faire appel pour rŽpondre aux exigences du client. Il s'agissait d'un bilan de compŽtence. Mon travail m'a pris plus de six jours avec une prŽparation minutieuse et individualisŽe ; tandis que le cabinet accordait deux heures d'entretien au client. J'ai gagnŽ 15 000 F net aprs dŽclaration d'imp™t. Ce qui est plus que raisonnable. Le cabinet avait peru l'Žquivalent. En lui tŽlŽphonant pour faire la synthse, j'ai eu la surprise d'entendre mon homologue, actionnaire du cabinet, se plaindre amrement de la charge de travail non rentable et inintŽressante que ce dossier avait reprŽsentŽ. Tandis que de mon c™tŽ, j'ai dŽcouvert le vŽritable plaisir d'un travail cousu main, intense mais sans aucune pression extŽrieure". 

 

Ë ce propos, un autre concept de travail intŽressant est celui d'intermittent du conseil. Il pourrait concerner des ch™meurs qui ont une expŽrience utile, mme s'ils n'ont pas de dipl™me supŽrieur, et leur permettre de se lancer dans une activitŽ indŽpendante, qu'ils redoutent trop souvent. Voici ce qu'en dit une ch™meuse.

" Il y a six ans que je suis au ch™mage. J'Žtais technicienne dans une entreprise. J'ai cinquante-cinq ans. Maintenant, plus personne ne veut m'embaucher. Alors, j'utilise ma compŽtence dans des missions que me confient diffŽrents groupes de services. Mais ce ne sont pas des petits boulots successifs. Car j'ai compris que je vivais comme les gens du spectacle, pour une sŽrie de reprŽsentations, et puis que j'attendais le prochain cachet. Je me prŽsente volontiers comme une "intermittente du conseil". L'expression surprend. Mais elle fait petit ˆ petit son chemin. Moi, je trouve que c'est plus satisfaisant que de me dire ch™meuse.

        Cela n'a rien ˆ voir avec le travail en temps partagŽ entre plusieurs entreprises. Ces morceaux de contrat de travail, dans ce dernier cas, avec des obligations parfois plus dŽfavorables que pour un emploi ˆ temps complet, et la suspicion que les employeurs font peser sur ces sous-salariŽs, en font une fausse piste pour la crŽation d'emplois. Et puis, on n'a pas la libertŽ d'un travailleur indŽpendant, ni la satisfaction. Ce vŽritable cul-de-sac de l'emploi, comme je l'appelle, existe parce que des anciens salariŽs au ch™mage n'ont soit pas le courage, soit pas les moyens, soit tout simplement parce qu'on ne leur a pas expliquŽ comment faire autrement que de se recoller dans le systme du contrat ˆ durŽe indŽterminŽe.

       Quant ˆ la garantie d'emploi, c'est un systme des plus prŽcaires !  Les associations qui militent pour cette forme passŽiste de dŽpendance devraient bien mieux s'ouvrir ˆ des formes plus indŽpendantes du travail. Mais ce n'est peut-tre par leur intŽrt ? L'avenir est certainement plus dans ce sens des intermittents du conseil".

 

Il faut aussi parler du travail associatif. Qu'il soit au sens strict, avec subventions, dons et bŽnŽvolat, ou qu'il soit mixte, en comportant certaines possibilitŽs de ressources de type Žconomique, par la facturation de services par exemple, le travail associatif reflte cette recherche d'individualisation. Tout en conservant ˆ l'individu un cadre collectif minimum. Le revers de la mŽdaille est peut-tre le manque d'accessibilitŽ ˆ ces associations, pour un ch™meur isolŽ.

D'autre part, lorsque ces mouvements associatifs sont naissants, ils ne psent pas grand-chose ˆ c™tŽ des mouvements plus puissants, plus riches, dont certains mme accumulent parfois des trŽsors de guerre, comme l'Žcrivait un journaliste ˆ propos d'une certaine association douteuse. Ces jeunes associations ne font pas toujours le poids non plus, vis-ˆ-vis d'une administration qui les Žcoute avec plus ou moins d'intŽrt, mais de manire trop timorŽe.

 

L'opinion publique serait surprise de la capacitŽ d'innovation, particulirement en termes d'amŽlioration de la sociŽtŽ, si une information plus gŽnŽrale et plus large Žtait diffusŽe sur ce sujet. Nous avons par exemple en mŽmoire des projets proposŽs par des associations aux divers responsables publics, en matire d'amŽlioration des comportements socio-sanitaires ˆ risque (tabagisme, alcoolisme, accidents de la route, etc.). Ces projets rompent compltement avec les mentalitŽs conservatrices et ce que nous observons ˆ l'heure actuelle dans ces diffŽrents domaines. Ces tendances actuelles en la matire vont, il faut bien le noter, beaucoup trop dans le sens des interdits, des sanctions, des manipulations des foules par des slogans d'un autre ‰geÉ, que vers le dŽveloppement d'une conscience civique, d'une responsabilitŽ de citoyen libre, qui prŽviennent automatiquement les risques. Et d'un Žquivalent franais du fair-play britanniqueÉ, source inaltŽrable de bonne humeur et d'humour ! Au lieu de cela, la sociŽtŽ franaise est crispŽe dans une attitude d'agressivitŽ et de peur. En particulier ˆ la suite des mesures qui lui sont imposŽes par la technocratie, et le manque de scrupule de certains prestataires de services. Mais ˆ quoi bon en dire plus.

Le travail associatif reste nŽanmoins un jalon fort vers de nouvelles formes de travail. Cela aussi en partie gr‰ce au labeur de bien des ch™meurs anonymes.

 

Un autre exemple de cet ex-ch™meur de longue durŽe peut nous faire rŽflŽchir sur son utilitŽ Žconomique indirecte, bien que non rŽmunŽrŽe.

" Pendant les trois annŽes au cours desquelles j'ai ŽtŽ au ch™mage, je n'ai jamais permis ˆ autant de personnes de trouver du travail que lorsque j'avais le pouvoir d'embaucher. J'ai servi d'intermŽdiaire entre des amis qui cherchaient des collaborateurs et d'autres qui Žtaient ch™meurs. J'ai permis ˆ des anciens collgues d'obtenir des postes en servant de caution morale. Je me suis occupŽ de ch™meurs que je rencontrais pour les aider ˆ reprendre confiance en eux ; ou pour les aider ˆ faire leur propre bilan et ˆ se rŽorienter. Ma position de ch™meur n'Žtait pas suspecte comme celle des cabinets de recrutement. On parlait d'Žgal ˆ Žgal, et sur la base d'une expŽrience commune. Je pense notamment ˆ une personne qui Žtait honteusement exploitŽe dans des agences de voyages successives. Elle n'Žtait jamais parvenue ˆ se stabiliser dans cette branche. Elle Žtait rŽduite ˆ des travaux subalternes, fatigants et mal rŽmunŽrŽs, alors qu'elle avait une licence de langue Žtrangre. Reconnaissant ses aptitudes ˆ la vente, et la qualitŽ de ses argumentations, je l'ai poussŽe ˆ postuler pour un poste de dŽlŽguŽ mŽdical. Aucun de ses amis ne croyait qu'elle en serait capable. Moi, si. C'est ce qui lui a permis de franchir les obstacles de sa rŽorientation et de relever le challenge. Aujourd'hui, elle gagne bien mieux sa vie ; a un emploi stable ; et elle est apprŽciŽe de son patron et de ses collguesÉ

       Je n'en tire aucune gloire, car toutes ces personnes ont rŽussi gr‰ce ˆ leur valeur propre. Mais j'ai la satisfaction d'avoir pu faire quelque chose d'utile et de fraternel. Je me suis rendu compte ˆ quel point le fait de croire en quelqu'un est une source extraordinaire du succs. C'est ce qui manque dans notre sociŽtŽ franaise, o il y a trop de dŽfiance et d'Žgo•sme.  Tous ces emplois que j'ai pu modestement favoriser se rŽvlent durables, et dans certains cas ont reprŽsentŽ une promotion importante. Je pense en particulier ˆ un cadre d'un petit Žchelon qui, gr‰ce ˆ son licenciement a eu une opportunitŽ un peu exceptionnelle, et se retrouve aprs quelques annŽes directeur gŽnŽral d'une petite entreprise de quinze personnes. Quant ˆ moi, comme dit le proverbe, cordonnier est le plus mal chaussŽ !É"

 

Tous ces travaux d'exploration concourent ˆ transformer le rŽflexe de dŽpendance en actes volontaires d'autonomisation.

 

BŽnŽfice personnel de l'EXPLORATION DE Nouvelles formeS d'activitŽ : Que les tentatives soient trs modestes, couronnŽes ou non de succs, le ch™meur dŽveloppe une qualitŽ personnelle : la capacitŽ d'auto-accomplissement. Elle s'accompagne souvent de la joie de rŽaliser un bel ouvrage sur mesure, mme modeste, mais d'apprŽhension trs concrte.

 

BŽnŽfice pour l'entourage : En cas de rŽussite, l'impact positif sur la famille et l'environnement proche est directement perceptible. Et son expŽrience est communicable. Et si le projet est porteur, il recrŽe l'enthousiasme.

 

Notons au passage que cet apport exploratoire des ch™meurs n'™te toujours pas cependant l'opprobre inhŽrent ˆ la condition de ch™mage. Nous verrons dans la troisime partie comment la rŽsolution de la phase de rŽhabilitation peut tre enclenchŽe.

 

BŽnŽfice absolu : Le travail personnel d'exploration de nouvelles formes d'activitŽ favorise en dŽfinitive la crŽativitŽ, et constitue l'embryon d'une plus grande flexibilitŽ socioprofessionnelle, fondamentale et non artificielle.

 

Ce travail individuel de pionnier peut-il permettre de rŽsoudre la tendance dominatrice des multinationales ? Nous verrons au chapitre suivant comment cet axe dŽbouche sur une dimension collective vis-ˆ-vis de l'indŽpendance du travail.

 

 

TRAVAIL PERSONNEL DE RŽsistance aux endoctrinements et aux pressions DIVERSES.

 


            "RŽsister, c'est d'abord savoir dire non".

            Les Franais, canalisŽs depuis un quart de sicle en particulier, par une culture du consensus parfois qualifiŽ de mou, plus proche des compromissions que des compromis cordiaux, n'ont-ils pas un peu laissŽ s'Žmousser leur capacitŽ de savoir dire non ?

Les refus violents, contestataires, de manifestations tirant leur Žnergie d'un regroupement de circonstance - voisins des comportements grŽgaires aveugles - ne sont que l'autre extrŽmitŽ Žmotionnelle de l'incapacitŽ individuelle ˆ parfois savoir dire NON sans violence. NON, courtois mais ferme, dans le cadre de son travail. NON, prudent mais rŽsolu dans ses choix personnels. NON, prŽlude d'un oui plus conscient ; plus sŽlectif aussi.

Ce NON aux conventions, lorsqu'elles sont contraires ˆ l'ƒthique en particulier, a toujours un prix.

Parfois c'est celui du sacrifice de son emploi. Bien sžr, un directeur de service ou un directeur gŽnŽral sont plus concernŽs qu'un ouvrier sur une cha”ne. Et encore, cela n'est plus aussi vrai, par exemple lorsqu'il s'agit de la sŽcuritŽ ou de la santŽ des consommateurs dŽpendant de conditions de fabrication. Nous connaissons de tout temps des individus qui ont dit NON ˆ la commercialisation de produits dont le rapport bŽnŽfice-danger ne se justifiait pas, et qui ont ŽtŽ "dŽmissionnŽs". Ils deviendront peut-tre plus nombreux dans les dŽcennies avenir.

Parfois c'est plus simplement celui du sacrifice de sa tranquillitŽ professionnelle, du confort de son acceptation par le groupe. Les cadres qui disaient par provocation, il y a dix ans, que l'horaire de travail Žtant dŽfini ˆ plus ou moins dix pour cent, il Žtait justifiŽ de travailler parfois moins dix pour cent de son temps, si l'objectif Žtait atteint, ne font plus aujourd'hui figure d'anarchistes ! Bien que ces propos soit encore trs mal vus. Cet exemple fait partie d'un autre dŽbat concernant l'horaire des cadres, qu'il n'est pas possible d'analyser plus ici. Il rejoint cet attachement aux fausses valeurs dont nous avons parlŽ plus haut.

 

Si nous y rŽflŽchissons bien, cet esprit de rŽsistance, mme dans des circonstances modestes, est de mme nature que celui qui a conduit ˆ des actes hŽro•ques dans les situations les plus sombres de l'histoire. L'individu rŽvle en lui-mme, dans un instant subit, une dimension nouvelle qui transcende toutes ses peurs.

Cette capacitŽ nouvelle de rŽsistance n'est pas toujours aussi visible et frappante dans l'expŽrience du ch™meur. Elle est plus diffuse, et agit sur le moyen ou long terme. Mais si nous sommes trs vigilants, en parlant avec des ch™meurs de longue ou trs longue durŽe, nous discernerons cette aptitude ˆ refuser les compromissions. Encore une fois, en supportant les consŽquences.

 

            Parmi ces endoctrinements et pressions diverses, nous pouvons nous rŽfŽrer ˆ tout ce qui a ŽtŽ dit au cours de la premire partie, et rŽsumŽ dans la premire pause. De cette capacitŽ de dire non, il ressort paradoxalement une meilleure prise en compte des camps opposŽs, au lieu de leur clivage. En effet, une comprŽhension plus lucide permet de mieux se rendre compte que : l'Žconomie ET la politique, le travail ET le social, les bŽnŽfices ET la redistribution sociale, le patronat ET les syndicats, le salariŽ privŽ ET le salariŽ publicÉ,  sont tous susceptibles d'tre les victimes ET les bourreaux ou les complices de ces pressions. Et que seule la bonne volontŽ rŽciproque peut venir ˆ bout de ces petites mais puissantes volontŽs Žgo•stes de domination, d'influence, de prosŽlytisme, de conservatisme, qui sont de nature sectaire et sŽparative.

 

Cet esprit de rŽsistance est conscient ou instinctif. Par exemple, nous avons longuement parlŽ du dŽsir ou du besoin de ne pas travailler. Il reprŽsente une forme, plut™t subie, de cette rŽsistance. Mais il ne dŽpend que de l'individu de transformer cette rŽsistance passive, vŽcu nŽgativement, en rŽsistance active, vŽcu positivement. Par une prise de conscience et une comprŽhension. Au mme titre, pour prendre un symbole, que nous comprenons la nŽcessitŽ de convalescence pour permettre ˆ un os de se ressouder.

 

BŽnŽfice personnel de la RŽsistance aux endoctrinements et aux pressions DIVERSES : Cet axe de travail dŽveloppe une qualitŽ personnelle : la capacitŽ d'endurance. Elle dŽbouche finalement - les rŽvoltes intŽrieures une fois apaisŽes - sur une valeur essentielle pour l'individu : la bonne volontŽ.

 

            La famille est souvent plus ˆ mme de percevoir le bien fondŽe des refus. En particulier, ceux qui ont conduit au licenciement. Elle encourage le ch™meur et le rassure en lui prodiguant des : Tu as bien faitÉ Tu as eu raisonÉ C'est un premier rŽflexe frŽquent de bon sens. Aprs, le doute peut s'en mler et crŽer une confusion passagre ; mais le plus souvent, elle ne rŽsiste pas ˆ l'examen impartial.

BŽnŽfice pour l'entourage : La famille et l'environnement s'imprgnent ainsi de l'exemple de rŽsistance et du courage dŽveloppŽ par le ch™meur.

 

BŽnŽfice absolu : Le travail personnel de rŽsistance aux endoctrinements et aux pressions diverses a comme bŽnŽfice fondamental de libŽrer de la peur, en forgeant, acte aprs acte, un esprit libre.

 

Cette capacitŽ individuelle de dire non, peut-elle aider la sociŽtŽ ˆ sortir de ses immobilismes ? Nous verrons au chapitre suivant comment cet axe dŽbouche sur une dimension collective de transformation des conservatismes.

 

 

TRAVAIL PERSONNEL D'INDIVIDUALIsation dŽmocratique.

 


            "La dŽmocratie nŽcessite des citoyens vertueux".

            L'Žgo•sme des comportements Žconomiques et politiques actuels offre une opportunitŽ paradoxale ˆ de nombreux ch™meurs, de dŽvelopper une individualitŽ.

Prenons le temps de distinguer le sens instructif des mots. Ne confondons pas l'individualisme d'une personnalitŽ d'un c™tŽ, et l'individualisation d'une individualitŽ de l'autre. L'individualisation n'est pas de mme nature que l'individualisme (en entreprise, en politique ou en morale) : la premire n'est pas fondamentalement Žgo•ste, tandis que la seconde l'est. La premire conduit dans l'absolu ˆ un individu libre et fraternel ; la seconde conduit ˆ des personnalitŽs non ma”tresses d'elles-mmes et isolŽes au sein de groupes. L'engagement collectif (politique, humanitaire, etcÉ) n'Žtant bien souvent qu'un prŽlude ŽlŽmentaire ˆ l'individualisation ; une sorte de "jardin d'enfants". 

 

Ces subtilitŽs du langage n'en sont pas dans la rŽalitŽ. Un ch™meur qui se dŽbat pour survivre n'est pas dans la mme logique que certains salariŽs lorsqu'ils revendiquent toujours plus de profit ou de possessions. Le ch™meur qui doit faire preuve d'ingŽniositŽ pour passer au travers des rigiditŽs de la sociŽtŽ, n'est pas non plus dans la mme logique que certains salariŽs qui cherchent dŽsespŽrŽment une sŽcuritŽ personnelle illusoire en faisant masse avec les dŽmagogues. Non qu'il faille critiquer cet Žgo•sme ou ce collectivisme en eux-mmes. Ils sont tous deux des Žtapes nŽcessaires ˆ l'apprentissage de la vie en sociŽtŽ. Mais s'ils sont des Žtapes, ils sont par essence transitoires, ou devraient l'tre si certains ne les faisaient pas durer plus que nŽcessaire pour satisfaire leur volontŽ de pouvoir. Il y a lˆ un immense dŽbat.

Le ch™meur, ˆ cause de - ou gr‰ce ˆ - son accident de parcours, expŽrimente une autre forme de travail, selon d'autres logiques que celle de l'entreprise et de l'Žconomie. Du moins partiellement ou pour un temps limitŽ. Et ces autres logiques, o il est SEUL face contre tous, en butte ˆ toutes les humiliations, ˆ bien des privation, stimulent ses ressources propres : les plus instinctives en partie, mais aussi les plus subtiles. Mme un dirigeant d'entreprise peut avoir une libertŽ apparente supŽrieure, mais faire preuve d'une individualitŽ moins grande dans la mesure o il n'est pas libre des courants de pensŽe dans lesquels il baigne. Les fameuses cultures l'encha”nent tout en haut de la pyramide. Ne cherchons pas ˆ voir un quelconque manichŽisme dans ces propos, mais seulement une occasion pour le ch™meur de se rendre compte qu'il fait LUI AUSSI un travail utile, comme le chef d'entreprise ou le salariŽ, ou tout autre citoyen.

 

Cette notion d'individualisation est une donnŽe constante de toute Civilisation, mais elle est peut-tre difficile ˆ cerner pour beaucoup. Pourtant, Pythagore, Platon, AliŽnor d'Aquitaine, Saladin, Roger Bacon, Cervants, Rabelais, Pascal, d'Holbach, Voltaire, É parmi de nombreux exemples, en sont des tŽmoins idŽaux, au travers des sicles. Ainsi que des milliers d'autres individus, hommes et femmes, reconnus ou anonymes, de tous pays. Cette individualisation s'acquŽrant trs lentement et imperceptiblement, Žtape par Žtape. Un des premiers pas le plus significatif est sans doute celui de l'individu qui sait dire non en toute luciditŽ.

 

Si nous faisons la synthse des axes de travail prŽcŽdemment dŽcrits, une meilleure comprŽhension de ce dernier axe majeur peut-elle se dŽgager ?

Qu'avons-nous vu ? Un ch™meur qui prenait ses distances spatio-temporelles par rapport ˆ son ancienne profession ; et de ce fait, par rapport ˆ des fausses valeurs. Il gagnait en degrŽ de libertŽ ; avec un cožt ˆ payer. Un ch™meur qui rŽajustait ses besoins Žconomiques ; et par contrecoup se rendait compte de certaines choses inutiles et du g‰chis de nos civilisations. Il gagnait un autre degrŽ de libertŽ ; avec un cožt ˆ payer. Un ch™meur qui explorait des concepts vierges et crŽait de nouvelles activitŽs socio-Žconomiques. Il gagnait encore un autre degrŽ de libertŽ ; avec encore un cožt ˆ payer. Un ch™meur qui rŽsistait de manire non-violente ; et participait ˆ la mutation des modes de contestation violente. Il gagnait lˆ encore un autre degrŽ de libertŽ ; avec toujours un cožt ˆ payer. 

Tous ces degrŽs de libertŽ chrement acquis, ne dŽveloppent-ils pas ˆ la longue ce caractre individuel ? Mais aussi une plus grande tolŽrance envers les autres ; par la souffrance morale et l'immobilisme forcŽ, qui renvoient la conscience vers les valeurs qui perdurent ?

 

Ces qualitŽs de patience, de discernement, d'adaptation au concret, d'expŽrimentation, de persŽvŽrance, sont cousines, mme modestes, de celle nŽcessaires ˆ toute dŽmarche de recherche scientifique. De mme qu'elles sont aussi ˆ la frontire de la crŽation artistique. Ne cherchons pas ˆ glorifier artificiellement la condition du ch™mage, mais reconnaissons nŽanmoins qu'elle vaut bien mieux que ce que l'on en pense en gŽnŽral ! Tout ch™meur porte en lui ces potentialitŽs, tandis qu'il effectue ce travail bien malgrŽ lui.

 

            En quoi cette individualisation est-elle une caractŽristique dŽmocratique ? Le proverbe de la sagesse antique qui parle de citoyen vertueux n'en est-il pas la rŽponse ? La vertu n'est pas une quelconque conduite bigote, mais Žtymologiquement elle signifie le courage, la force et la sagesse. Toutes qualitŽs indispensables pour exercer son libre-arbitre en toute sŽrŽnitŽ et en toute responsabilitŽ envers les autres et la Civilisation ˆ venir. Cela n'a plus rien ˆ voir avec cette dŽresponsabilisation protectrice stigmatisŽe par les expressions : "ˆ vous de choisir"É "c'est votre responsabilitŽ"É, (sous-entendu : "chacun pour soi"É "moi, je m'en lave les mains" !)É Et autres attitudes si frŽquemment rencontrŽes chez tous les acteurs socioŽconomiques, affolŽs par la peur du ch™mage.

 

 

BŽnŽfice personnel et pour l'entourage de l'INDIVIDUALIsation dŽmocratique : une plus grande libertŽ d'esprit.

 

BŽnŽfice absolu : Le travail personnel d'individualisation dŽmocratique, produit par l'Žpreuve du ch™mage, dŽbouche progressivement sur des individus plus insensibles aux chants trompeurs des sirnes de l'ancienne Civilisation, en train de repasser son flambeau ˆ la nouvelle.

 

Cette individualisation peut-elle aider ˆ rŽvŽler la Civilisation du Troisime MillŽnaire ? Nous verrons au chapitre suivant comment cet axe dŽbouche sur une dimension collective de rŽduction des clivages sociaux et de rŽconciliation sociale.

 

 

 

 

Un simple travail de constatationÉ

 

 

C

e travail individuel des ch™meurs, selon les quelques axes que nous avons dŽcrits, se rŽalise, rŽpŽtons-le, de manire automatique. Ils ne feraient rien, qu'ils travailleraient quand mme ! pourrait-on dire de manire lapidaire. Ë ce stade, le lecteur qui cherche ˆ comprendre le POURQUOI d'un ch™meur, n'a pas ˆ faire un effort de l'ordre de la conviction, ou de l'imagination crŽatrice, ou de pratiquer la mŽthode CouŽ pour se persuader intellectuellement. Il a une simple prise de conscience ˆ faire de la rŽalitŽ du travail effectuŽ.

 

Le bon sens doit pouvoir lui faire reconna”tre l'Žvidence. Cette reconnaissance objective amplifie alors, s'il est ch™meur, la force individuelle de ses actes quotidiens. Ses potentialitŽs personnelles, dont nous parlions plus haut, peuvent se concrŽtiser plus facilement. Elle lui permet peut-tre aussi de mettre ˆ profit cette pŽriode de latence, de manire plus volontaire et moins dŽsagrŽable ; en particulier en se refaisant une santŽ sans culpabilitŽ.

Cette constatation est aussi essentielle pour la suite, car elle doit le libŽrer de bien des incertitudes et de bien des apprŽhensions qui le bloquent encore. Et c'est sur cette base dynamique qu'il pourra ensuite progresser vers une action plus large concernant le ch™mage.

Cette reconnaissance objective, s'il est non-ch™meur, devrait le libŽrer de ce poids inconscient de la culpabilitŽ et le rendre plus fraternel envers le ch™meur.

 

            Tout ce travail automatique ne procure pas d'emploi au ch™meur. Sauf s'il a dŽcouvert une activitŽ particulire qui lui fournit quelque revenu rŽgulier ou Žpisodique. Aussi la peur du manque reste un obstacle ˆ l'intŽrt de cette reconnaissance. Il peut nŽanmoins la faire et se rendre compte qu'il n'est pas vŽritablement en situation d'Žchec absolu.

 

Il lui reste ˆ comprendre l'utilitŽ du ch™mage pour la sociŽtŽ tout entire. Afin que le bŽnŽfice qu'il entr'aperoit pour lui-mme puisse se consolider dans une plus grande certitude. C'est l'objet du chapitre suivant.

            Il souhaiterait enfin que les autres s'en rendent compte Žgalement et ne considrent plus sa condition comme une anomalie. Mais pour cela, une action plus spŽcifique est nŽcessaire ; ˆ laquelle il peut apporter son concours. Ce sera l'objet de la dernire partie.

 

<< RETOUR AU PLAN                                                   SUITE P2CH3   >>

 

© Copyright 2000-2005  Richard AndrŽ - Document dŽposŽ.

 

 

 



[1] En comparaison, les ƒtats-Unis n'ont semble-t-il pas ce mme complexe vis-ˆ-vis du travail manuel.

[2] Se rappeler les 5 groupes de motivationsÉ

[3] Et de plus cette notion nŽgative de perte d'identitŽ, participe ˆ l'entretien du sentiment inconscient de culpabilitŽ des non-ch™meurs. En positivant cette fausse notion, on soigne les deux groupes de protagonistes en mme temps.

[4]  Ë moins de comprendre le terme dans son acception religieuse, de cet ordre monastique rŽgi par une discipline de soi d'une extrme rigueur ; ce qui n'est pas courant !

2 Sans remonter jusqu'ˆ Jules Vernes, les livres des annŽes 70, de Robert JUNGK, comme son PARI SUR L'HOMME, parmi bien d'autres, sont intŽressants ˆ relire pour nous donner le sens de la relativitŽ des innovations ; et du temps, ˆ la fois long et extrmement court que prennent les changements de mentalitŽ.